lundi 23 août 2021

Au fil des jours, Carnets du quotidien.

 Il y a de l’impudeur à écrire sur soi et puis donner à lire. La crête sur laquelle le « je » se met en scène est digne du funambule. Comment arriver à trouver l’équilibre ? Rester sur le fil avec élégance. Délicatesse. Dire mais sans nommer, avouer sans le dire. Jongler les sensations, louvoyer, maquiller les sourires et puis se dévoiler juste le temps d’un soupir. Et puis se camoufler. De nouveau. Marcher au bord du vide. Sans tomber. Danser avec le beau. Flirter avec le pire. Je vais dans mon journal comme une équilibriste. Un peintre pointilliste. Mes pinceaux vibrent, ardents. Au fil des jours. Fugaces, colorés ou futiles. Ma palette est pudique et la corde est ténue. Je me meus dans l’onde comme un poisson timide et peins avec mes mots comme une enfant fragile. La plume de l’intime peut se poser en fragrances, en senteurs immobiles qui dénouent les silences. Ce carnet sans nul doute est offert au lecteur. Sans projet, sans calcul, il se brode au crochet. Dans un cri, dans un souffle pour encore respirer.



dimanche 22 août 2021

Au fil des jours, Carnets du quotidien.

 Chaque jour, je me demande quand le flux va s’arrêter. Et chaque jour, tout coule. Tout vient. Tout se dépose entre les lignes. Sur la portée. À la coda. Je suis à moi comme dans un livre. Je me confie, je me préserve. Me reviennent les dimanches en famille. Le couvercle était lourd. La musique sonnait faux. Alors je me perchais. Mon unique refuge était une mezzanine où se trouvaient mon bureau, mes cahiers, mes stylos. J’ai grandi solitaire. Ma singulière amie était une chatte grise. Compagne véritable et confidente exquise. Je tenais un journal. J’y compilais mes mots. Me voilà aujourd’hui. Je suis à l’écriture comme dans un cocon. Une bulle, un rempart, un donjon. Je me retrouve petite fille. Blottie dans ma maison. Au loin, la rumeur se fait vive. J’entends les cris. La clameur des troupeaux. Et si demain me bâillonne, je crierai en silence. Forte au milieu du vacarme. Enracinée. Avec au cœur ma pensée libre, mes amis vrais. L’amour brandi, le cœur au chaud.



samedi 21 août 2021

Au fil des jours, Carnets du quotidien.

 Une vie est sans doute possible ailleurs. Autrement. L’histoire bouscule, précipite, désarçonne. J’ai la tête en désordre, le cerveau tout fripé. J’ai le monde à l’automne, les feuilles noires. Le cœur serré. Pourtant, Août a la lumière friponne. Elle taquine les arbres, joue dans les ombres, moleste les nuages. L’air est bon sur les sentiers, le ciel est d’or. Je suis vivante. Ils volent mon sourire, sectionnent mes lacets mais j’ai des godillots. Ils piétinent mes rives, ternissent mes comptines mais j’ai encore des rimes, des tisons et mes mots. La chape est assassine, le soleil brille moins beau mais il y a d’autres grèves, des rivages et des quais où amarrer la coque. Recommencer. Construire d’autres bateaux. Si on tissait des branches, si on grimpait plus haut ? Mais voilà. Août est en sang. Tout déchiré. L’histoire sanglote, tressaille, taillade. J’ai le cœur dans les bottes. Le monde est en morceaux. J’ai le cœur qui sanglote. Demain est incertain. Demain est terrifiant. Demain est maintenant. Je chausse mes souliers, noue bien fort mes lacets pour affronter le vent.






dimanche 15 août 2021

Au fil des jours, Carnets du quotidien.

 Comme il fait chaud, je me baigne dans l’eau de la rivière. Une eau fraîche. Limpide à ma tristesse. J’éclabousse mon visage et me dissous dans la clarté. J’essaie de débrancher les fils. Pour une heure, une minute, un jour. L’eau m’enveloppe. Je suis un fœtus au ventre de la source. Le soleil est brûlure sur ma peau, la lumière est brasier, l’onde est havre au centre du fourneau. Assise au bout du bord, je suis étrangère à moi-même. Absente au monde. Stupéfiée. Je me remémore des bribes. La petite fille que j’étais. Les yeux grands. Écarquillés. En points d’interrogation. Je me souviens le marronnier, les jours de rentrée, ma petite école et les odeurs de craie. Et ma maison et mes parents et les sentiers innombrables que mes pas ont foulé. Me voilà aujourd’hui. Le regard en miroir au fil de la rivière. En arrêt. Suspendue aux branchages. Incrédule. Je ne suis plus au monde qu’un fétu balloté à la merci des courants d’air.



samedi 14 août 2021

Au fil des jours, Carnets du quotidien.

 Voilà presque deux mois que j’écris. C’est venu comme ça. Un carnet au fil des jours. Un journal. J’ai commencé par m’amuser, inventer des images et rendre mon quotidien cocasse. J’ai poursuivi avec mes états d’âme, usé de la rime, écrit de la Poésie comme ils disent. Au fil des semaines, ma prose est devenue plus sombre. Au fil de l’eau, la pensée vagabonde. Au fil des heures, il y a le cheminement du monde. Cet été, j’ai rangé mon sourire. Faire comme si tout allait bien ? Comme si ce monde allait bon train ? Mais ça ne va pas. Pas du tout. Ça ne va plus. Plus du tout. J’abhorre les bons sentiments. Les faux-semblants. Le décorum. D’aussi loin que je me souvienne, j’ai vomi les dames patronnesses, la bien pensance bourgeoise, les intellectuels à la mine compassée et au teint poussiéreux. Les artistes de cour, les donneurs de leçon. Les bigotes enciergées, les Madames de bon ton. Si j’écris, ce n’est pas pour sourire aux oiseaux et m’extasier sur la floraison de l’amour dans les champs de lavande et les frais coquelicots. Si j’écris, c’est pour expulser. Régurgiter. Ma nausée. Ma fatigue. Mes idéaux souillés. Pour dire merde. Je vous emmerde ! Avec des mots jolis, des mots crasseux, des répugnants ou bien obscènes. La vulgarité ne se niche pas que dans le verbe. Si seulement. Elle est enracinée dans la compassion bien pensante des conformistes à talons hauts et des troubadours à fleurs bien installés sur l’escalier de leur ego.




jeudi 12 août 2021

Au fil des jours, Carnets du quotidien.

 C’est une journée immobile. La chaleur pénètre par tous les moyens. Elle se meut dans les rares mouvements de l’air. Son haleine est fournaise, son souffle incandescent. L’été n’a pas dit son dernier mot. Il se rebiffe et nous consume. Le jardin se tait. Les mulots se terrent. Les oiseaux se recroquevillent dans leurs plumes. Un chat somnole à l’ombre du figuier. Le temps tourne au ralenti. Plus rien ne bouge. Les minutes se cramponnent aux aiguilles de l’horloge. Je suis comme engourdie. À tout jamais. À l’infini. À jamais plus. Et rien ne sera plus jamais pareil. Et mes pensées s’égarent et se mélangent. Et la torpeur qui m’envahit m’emprisonne et m’abêtit. L’été passe, une autre saison s’enfuit. Août est douceâtre. J’ai dans la bouche le goût amer d’un jour sans force, d’un jour sans vie. D’une nouvelle aube aux gris contours .




mardi 10 août 2021

Au fil des jours, Carnets du quotidien.

 Je n’ai jamais réussi à vivre au jour le jour. J’anticipe toujours un ennui, un accident, une catastrophe. Pourtant, je n’ai pas d’autre choix que de goûter l’instant pour survivre au présent. Les lendemains m’inquiètent, l’attente me mine et l’inconnu me terrifie. Alors, je vais. J’avance. Certains jours un peu lasse, le cœur au bord du vide, certains plus cristallins. C’est courageux de vivre. Chaque pas est une prise de judo, un revers à deux mains. Il m’est difficile d’entrevoir demain comme un halo, une éclaircie. Je suis de celles qui dans le noir discernent le charbon, de ceux qui lors de l’accalmie redoutent l’aquilon. Je suis de ces âmes tristes qui font rire les enfants mais portent un baluchon. C’est un été tragique. Une insulte au bonheur. Un juron élégant. Une épine en plein cœur, un pas lourd. Accablant. Il est des journées sombres où Saturne s’invite, m’accable et me fatigue. Dès lors, je sais qu’il faut que je respire et m’abreuve à maintenant.



dimanche 8 août 2021

Au fil des jours, Carnets du quotidien.

 Il pleut. J’écoute passer les escargots. Ils déambulent, leurs antennes dressées. Ils bougent de droite à gauche et traversent les pas japonais. Il s’arrêtent et s’abreuvent à la pluie puis repartent impassibles. Ce sont des voyageurs tranquilles. Indolents, pacifiques. Je suis un escargot. Des mois que je voyage dans mon petit jardin. À mon rythme. Je me permets d’ouvrir des portes sans poignées, je passe à travers les fenêtres et survole les étangs depuis la lucarne de mon grenier. Je transporte dans ma coquille des paysages, des vallées, des monts, des océans. Les photos que je prends sont transcrites sur une toile qui s’anime au gré de mes envies. Je tape parfois très vite, je prends aussi mon temps. Les minutes m’appartiennent. Je forge un autre présent. J’ai dans une valise l’écho de mes voyages, des esquisses, des odeurs, des décalcomanies. Dans mes souvenirs, le bleu des lagons, la langueur tropicale, les pagodes, les mosquées, les églises. Et si demain je chausse à nouveau mes souliers, ce sera dans un monde vénérable où je me sentirai libre de dénouer mes lacets et traverser les routes. Et si demain n’est pas et si demain est pire et si demain n’est plus, j’aurai dans mon sourire le monde que j’aimais.



mercredi 4 août 2021

Au fil des jours, Carnets du quotidien.

 J’écris en rafales. Comme on prend des photos. Je sature, expose et sur-expose. Frénétique. Boulimique. Éperdue. Comme on fume même la nuit. Comme on hurle, comme on jouit, comme on râle, comme on vit. Les périodes où j’écris sont des instants charnières, des crises dans l’existence, des paliers où les mots me manient, commandent ou obéissent. Quand le bâillon m’entrave, m’étouffe et se resserre. Quand l’étincelle jaillit, quand le torrent déborde et que le flux déferle. Du jour au lendemain, la source va se tarir, les mots vont me manquer et je ne pourrai plus écrire. Jusqu’au prochain carrefour, jusqu’au prochain récif, jusqu’au prochain écueil. En attendant, je ne peux plus me taire et fais que mon volcan explose en pleine lumière.





mardi 3 août 2021

Au fil des jours, Carnets du quotidien.

 Ce matin j’ai marché. J’ai sué sang et eau, ardente et déterminée. La pinède est vivante, habitée par le concerto des cigales, les racines et les souches qui jalonnent la montée. Des randonneurs sont passés. En souvenir, au milieu du chemin, un cairn. Leur présence est tangible. Mes souliers crissent. Je marche. Sans me soucier de rien, je laisse mon corps se réveiller, mes jambes se délier. Enfin, je respire. Des mois que j’étouffe. Ma geôle est un pays, l’univers, ma maison. J’ai beau chercher l’issue, je trébuche et m’égratigne. Alors je crapahute. C’est un sentier rocailleux, sec, escarpé. Je foule les rochers, les herbes racornies. Je respire de nouveau. L’air entre dans mes poumons, mes idées s’éclaircissent, le ciel s’entrouvre. Je m’achemine. Je n’en finis plus d’avancer. Se dissolvent sous mes pas la fatigue et l’ennui, la tristesse, les tensions. La rumeur indicible du souffle des saisons.



Au fils des jours, Carnets du quotidien.

 Janis est dans l’herbe. Elle joue avec sa proie. Un gai mulot champêtre dont le corps semble froid. La chasseresse s’annonce. De sa gueule jaillit un miaulement rauque. Emphatique. Triomphal. C’est Diane aux griffes d’argent. Elle a dans les yeux la lueur farouche du guerrier. Elle traverse la pelouse la tête haute, le regard fier, la queue dressée. C’est une drôlesse, c’est la patronne. C’est ma confidente poilue, mon interlocutrice préférée. J’aime les chats pour leur écoute, leur présence discrète. Ils sont là même si l’on croit qu’ils ne le sont pas. Cachés derrière un arbre ou juchés sur les toits. Alanguis sous une chaise, les pattes en éventail, les moustaches en alerte. Ce sont des compagnons sensibles qui ne dérangent pas. Ils se rendent invisibles, ils hument le chagrin, ils guérissent l’âme des Tristes. Ils jouent avec ardeur. Ils clignent pour sourire. On dit qu’ils trompent les humains, qu’ils préfèrent la couardise et les jours de sabbat. Qu’ils aident les sorcières, pactisent avec le diable et les esprits malins. J’habite avec des chats. Ils me veillent et me soignent. D’aussi loin que je me souvienne, c’est grâce à eux que j’ai gravi le ciel et traversé les lacs et touché la lumière quand l’ombre me donnait froid.



lundi 2 août 2021

Au fil des jours, Carnets du quotidien.

 Réfugiée dans le canapé, j’ai Blanche à mes côtés. Je passe mon temps à écrire. Je crois que c’est comme un calmant. Ça m’évite de mal réfléchir. Je me concentre sur le moment. J’observe avec minutie les choses alentour. Les ombres qui s’animent sur le mur du salon, un abat-jour qui pend, la lumière qui s’invite et le souffle du temps. Je n’ai pas envie de retourner dans le flou des souvenirs. C’est trop douloureux, difficile à transcrire. Je m’exerce à chasser les résurgences et repousser l’écho. Le présent me rassure. Je pose mon oreille sur le rythme du vent, sur le chant de l’oiseau, sur la vie en suspend. J’évite de penser à demain. C’est sans doute un peu veule de bouder l’avenir. Mais les journées sont longues. C’est un été de cire. Un été prisonnier entre deux ouragans. L’on m’empêche de fuir, je m’applique avec force à raconter l’instant.



dimanche 1 août 2021

Au fil des jours, Carnets du quotidien.

 J’aime bien les Succulentes. Elles adorent quand il pleut. Elles sont bien quand il vente. Elles croissent sous le soleil et résistent au frimas. Ce sont des plantes faciles à vivre. Elles sont robustes. Coriaces. Je taille le rosier et j’égalise le romarin. Je nettoie le fouillis des massifs, les pieds nus dans la terre, mon sécateur en main. Absente à l’univers, présente à mon jardin, je débranche les machines qui aboient des infos. Aujourd’hui, comme les températures ont chuté, je porte de vieilles chaussettes, un paletot vétuste, un pantalon troué. J’arbore ma tignasse en broussaille. Indomptable. Invaincue. Mes rêveries sont douces, le silence est discret. Seuls les oiseaux serinent. C’est la brise qui me berce et m’endors et me calme. Bianca perd ses poils. Je brosse sa robe laineuse qui lui donne l’apparence d’une reine rasta. Il n’empêche que ses dreads s’accordent à ma chevelure. Nous sommes hérissées. Le temps se traîne, dimanche s’étire et s’engourdit. Lassée, Bianca s’effarouche, s’esquive et miaule au crépuscule. Irrévérencieuse. Tragique. Implacable.



samedi 31 juillet 2021

Au fil des jours, Carnets du quotidien.

 A force de vivre dans mon jardin, je suis au courant de tout ce qui s’y passe. Quand la guêpe maçonne, que le bourdon bourdonne et que les pies jacassent. Quand le crapaud prend le frais sous l’origan. Quand les hérissons arrivent à la nuit et farfouillent, le museau dans les feuilles. Quand le chat course la souris et que l’oiseau persifle. L’humanité me désespère alors je reste cachée dans mon écrin. Entoilée dans un monde enfantin, nichée sous les ronces, mes idéaux en poche. Je me dissous, je m’indiffère, je mets du bleu sur le présent. Je l’embellis, je l’exagère. Mes yeux magnifient les couleurs, mes mains s’agitent et puis composent. Je peins par touche des notes qui vibrent, des images qui jaillissent. Mutines. Indisciplinées. C’est bon d’habiter son jardin. Demain, si Août me le permet, j’irai respirer la sarriette et la menthe et l’anis étoilé.





jeudi 29 juillet 2021

Au fil des jours, Carnets du quotidien.

 Ce matin, la pluie s’est invitée. L’ondée me rassérène. L’humus respire, le sol est gorgé d’eau. C’est une jolie rincée, une averse en colliers, des perles qui dégringolent et se volatilisent. C’est une saison charnière. Une histoire en suspend. J’écris au fil du vent comme une goutte timide qui suit sa trajectoire. Elle s’attarde dans les cieux, funambule entre deux éclairs blancs. Au fil de la journée, c’est un mois qui s’entête. Juillet souffle, il regimbe et se fâche. C’est un été de fonte, une forge allumée, une épée tranchante au ventre des fourneaux. J’écoute le fracas des enclumes, l’impact du marteau. Enfin, dans la soirée, Juillet s’emporte. La clameur est visible, le ciel est furibond. Au loin, les nuages s’obscurcissent. Le déluge est en route, j’entends les grondements. 



mercredi 28 juillet 2021

Au fil des jours, Carnets du quotidien.

 J’aime arpenter les pavés, sentir le sol et laisser musarder mes souliers. Ce matin, c’est une ville qui m’attend. J’aperçois un clocher, je parcours des ruelles. Des rues moyenâgeuses encore habitées par le trot des chevaux, le pas des portefaix, la rumeur de toute chose. Des vies qui se sont succédé. Je m’avise d’un troquet et m’assois en terrasse. Il fait encore frais, les bistrots ouvrent, les cafetiers mettent en route les machines. Je goûte l’odeur du café, le grain fraîchement moulu, l’âpreté du breuvage qui glisse dans les rigoles de ma cervelle engourdie. C’est bon d’être en vacances. Je me laisse dériver. À côté de moi, les pigeons se réveillent. Des touristes attablées rient. À gorge déployée. Ça résonne cristallin, c’est franc. Spontané. Elles viennent d’Amsterdam et s’amusent du spectacle. En bons pigeons français, en gourmets distingués, ils dévorent les viennoiseries qu’elles éparpillent. Dans leur ville, ce sont des bêtes à frites qui se gavent et se goinfrent et s’empiffrent de patate et snobent les croissants. Un court moment, je suis sur une place aux Pays-Bas avec de la bière et des frites et des rires et des gens et la vie comme avant.



lundi 26 juillet 2021

Au fil des jours, Carnets du quotidien.

Je ne me souviens même plus que c’est l’été. Je sais qu’il fait chaud dehors. Je porte des sandales, une robe légère et des yeux tout froissés. Alentour, ça sent bon. Les effluves des restaurants, les grillades, les beignets. Assise en terrasse, j’observe les vacanciers qui mangent des glaces, des enfants désœuvrés qui tuent des mouches et les empilent. Ils exposent les cadavres sur la table. Et je bois du café. C’est pénible une mouche. C’est tenace, impudique. Horripilant. Ils sont drôles ces mômes. Je leur souris mais sans vraiment les regarder. J’ai la tête à l’envers, le cœur sur la chaussée. Mes yeux voient de travers. Ma robe est défraîchie et mes sandales usées. Je suis comme étrangère à tout ce qui m’entoure. Mon regard est ailleurs. À la lisière. Perdu entre deux mondes et pourtant sur la Terre. À la ronde, les baigneurs s’éclaboussent, les randonneurs suent, les paresseux s’alanguissent. Je reprends un café et me dis qu’aujourd’hui, je n’ai pas vu l’été. 




dimanche 25 juillet 2021

Au fil des jours, Carnets du quotidien.

 Que c’est doux la musique. C’est le calme et la brise. C’est un ample soupir. Une rêverie diffuse dans ma chaise à bascule. Dans les mains ce carnet et à mes pieds mes chats. Ce dimanche est à moi. Une journée suspendue, une ellipse, une incise. Demain sera. Je regarde les notes qui s’envolent et murmurent et valsent avec le vent. Que c’est bon la musique. Elle caresse de ses doigts le couloir de mon cou, le silence qui m’étreint, la noirceur qui m’enserre. Elle apaise mes angoisses, se dilue dans l’espace. Elle s’éloigne et revient. C’est comme un narcotique, un onguent antalgique qui soulage mes morsures et distrait le serpent qui s’abreuve à mon sang. Qui me mord et me nuit. Qui m’absorbe et me vide. De ma chaise à bascule, j’entends le Mississipi, le grondement des roues à aube, le blues dans le delta. J’entends les champs de coton, le cri des cannes à sucre, les effluves de tabac. J’écoute Robert Johnson, Son House et puis en boucle, l’Unplugged d’Éric Clapton. Ce soir, c’est au crossroads que j’irai respirer la fraîcheur, frôler les herbes sèches et reprendre des forces pour affronter demain. 




samedi 24 juillet 2021

Au fil des jours, Carnets du quotidien.

 Il est matin. J’ai un coup de barre dans mes artères, un code-barres prévu pour demain. Je bois mon café. J’avale une gorgée. Je n’ai aucune raison de m’inquiéter, on a tout calculé pour moi. Un code-barres dans ma musique. Un permis d’exister. Une autoroute pour la pensée. Je me réveille matin. J’ai des fourmis dans mes fusibles, des électrodes branchées à rien. Une autre gorgée. À la fin de ma mise à jour programmée, j’oublierai Brel, Brassens, Ferré. On me dira quoi enseigner. Je serai artiste engagé dans l’espace prévu à cet effet. Je serai troubadour ou poète, musicien, clown drôle, professeur éclairé dans le respect du cadre autorisé. Je serai écrivain, pâtissier, mécanicien, vacancier. Dans le respect des cases obligatoires à cocher. J’ai hâte d’être à demain. Avec mon code-barres dans les mains, je graverai mes rêves dans les registres pré-remplis. Les formulaires pré-établis. Légère, ma plume à la main, je gambaderai. Je serai enfin libre d’ouvrir ma gueule dans l’espace commentaires réservé à mes merveilleux lendemains.



vendredi 23 juillet 2021

Au fil des jours, Carnets du quotidien.

 Tous les jours, je contemple mes tomates. Ce sont des cerises. Elles surgissent dans les lianes. Ce sont des nez de clown, des breloques qui pendouillent, des coquettes à bijoux. À côté, les rondes citrouilles, les petites aubergines et les jolis piments. Ce sont des accroche-cœur, des virgules vermillon. Je regarde mes légumes parce que le temps s’étire et s’essouffle. Parce que mes coccinelles sont des bêtes à poison. Parce l’été s’enfuit dans les ronces et s’englue dans la poix. Parce que mes chenilles sont d’ignobles papillons. Parce que l’araignée scrute. Elle fixe la mouche au tombeau et se délecte et s’achemine. Parce que c’est un juillet sans lune. Une éclipse arbitraire qui ne dit pas son nom. Je regarde la mort des lucioles et l’été qui se fige. Mon potager grandit et la lumière décroît.



jeudi 22 juillet 2021

Au fil des jours, Carnets du quotidien.

 Elle apparaît sans qu’on l’invite Mme Bidochon. C’est une voix aigrelette qui rouspète. Une musique dissonante. Un grelot grinçant. Elle râle pour tout. Elle grogne pour rien. Quand c’est trop chaud, quand c’est trop froid. Quand c’est salé, quand ça ne l’est pas. Un soir, elle s’affaire dans la cuisine. Les invités sont là, devisent et visitent le jardin. Mme Bidochon coupe les oignons, elle les cisèle avec entrain. Sectionne. Hâche bien fin. Dehors, ça papote. Monsieur Bidochon cause, informe, répond aux questions. La commère a toujours une oreille qui traîne, un truc à dire, un conseil à fournir.

-Quels sont ces fruits orange pendus aux branches ?

Des abricots, il y en a plein. 

- DES NÈFLES ! 

La remarque est vomie, éructée, aboyée. C’est une voix de concierge. Aigre. Stridente. Un rot inarticulé. Dehors, c’est le silence. L’assemblée respire à peine. Elle est sous le choc. Médusée. Les nèfles sont pourris. C’est la saison des abricots. Cette mégère c’est moi. Comme ça. De temps en temps, quand ça me prend. Je dis non à tout. Je bougonne au beau temps. Je sectionne les élans et m’applique à couper les aiguilles de l’horloge qui annonce le printemps.




mardi 20 juillet 2021

Au fil des jours, Carnets du quotidien

 Mon carnet se remplit. Jour après jour. Il se noircit. De mots joyeux, d’autres plus gris. Je lui confie mes matins bleus, je lui dédie mes jours de pluie. Comme une semeuse de graines, j’arrose le terreau sur lequel je consigne mes anecdotes, où j’esquisse mon désarroi, où je poudroie mon quotidien. C’est mon carnet, c’est ma musique. Ici je suis chez moi. Ce sont mes mots et c’est ma voix. Je n’appartiens à personne. Je suis un flot, un volcan, un torrent qui se déploie dans les vallées, qui serpente entre les mines, les geôles, les barbelés. Je ne fais de mal à personne. C’est ma partition, mon lutrin. J’ignore combien de temps encore les mots visiteront ma maison. J’ignore mon demain. J’ignore dans quelle prison. Mais ici je suis libre et je crie quand je veux, et je vole si je peux, et je dis merde à Ceux.



Au fil des jours, Carnets du quotidien.

 Aujourd’hui, je ne fais rien. Mais rien de rien. Je glande, je bulle, je m’en tamponne. De tout, de rien, du temps qu’il fait. Du temps qui vient. Du temps qui passe, des petits riens. Du grand bazar qui va bon train. Je débranche les fils, j’enlève les piles. J’ai des épines dans mes godasses. Tiens. Je mets des pantoufles à la place. Des vieux patins qui traînent savates. Aujourd’hui, je ne fous rien. Même plus envie de ronger mon frein, de mélanger la mélasse qui s’est nichée dans le trou noir de mon jardin. C’est un vertige. Un puits sans fond. J’ai une enclume dans ma maison. Je fais une pause. On verra bien. Aujourd’hui, je laisse pisser la suie, glisser la crasse, je fais du ski sur mes angoisses. Je prends un tire-fesses, un télésiège ou un monte-charge et laisse les courts-circuits faire du vélo dans mes synapses. Demain sera et je n’y peux rien.



lundi 19 juillet 2021

Au fil des jours, Carnets du quotidien.

 Ces jours-ci, de mystérieux cailloux apparaissent dans tous les coins de la maison. Ils sont minuscules. Ce sont des pierres qui vivent groupées. Elles se retrouvent comme par magie disséminées sur le carrelage et les tapis. Je cherche alors un Petit Poucet. Des orphelins égarés. Un lutin fronde en main. Rien. J’entre alors dans des considérations ésotériques. Je parle aux dieux, chantonne de vieux cantiques. C’est sûr, notre logis est fréquenté, des génies l’habitent sans payer de loyer. Des farfadets jouent aux dés, des elfes jaillissent des livres et oublient leurs runes sur les parquets. Ce matin, tandis que mes pensées galopent, que je cogite et m’asticote, j’entends un feulement. Bianca tient dans sa gueule un gecko aux doigts palmés, les crampons arrimés à un de ces fameux galets, bien décidé à entonner son chant du cygne dans un sursaut de dignité.





samedi 17 juillet 2021

Au fil des jours, Carnets du quotidien.

 Il y a des jours où la tristesse occupe tout mon espace. C’est une Cendrillon pathétique et échevelée. Elle s’obstine à retrouver sa pantoufle. Elle cherche sous les lits, les fauteuils, les canapés. Elle va du sol jusqu’au grenier. C’est une Cendrillon va nus-pieds. Elle gare sa citrouille au beau milieu du potager. Son vieux tacot tout déglingué. Elle s’accapare mes rubans, mes robes, mes atours. C’est une princesse déchue, une amante éconduite qui traîne ses guêtres sur le pavé. Elle squatte la maison mes savates dans les mains, s’insinue dans les murs, se cache dans les recoins. J’ai beau lui dire que son carrosse est à la casse, que ce n’est pas dans mon cœur qu’elle retrouvera sa godasse, elle se drape dans mes vêtements et se campe sur le seuil. C’est une enquiquineuse. Une vieille copine envahissante qui débarque sans sa valise et vient crécher dans les fissures de mon printemps.




jeudi 15 juillet 2021

Au fil des jours, Carnets du quotidien.

 Quand ça va et même quand ça ne va pas, je parle à mes chats. En réunion sur la terrasse, en symposium sur le balcon, en conciliabule dans la maison, je rassemble mon escadron. Bidouille a les oreilles actives, Janis joue la compassion. Bianca se tâte, Bianca se méfie. Blanche feint l’abandon et Bobby dodeline. L’écoute est totale, le discours unilatéral. Elles sont toujours d’accord. Elles savent que j’ai raison. Pendant que je déblatère, déclame ou vocifère, elles se frisent les moustaches et consentent à me plaire. Elles savent où est le mou. Alors que je m’égare dans la rhétorique, elles calculent, prévoient, planifient. Elles rêvent déjà au doux fumet de la boîte de thon. Elle est comme ça mon escouade féline. Attentive. Majestueuse et sincère dans son affable magnanimité.




mercredi 14 juillet 2021

Au fil des jours, Carnets du quotidien.

 La Terre est ténébreuse. Juillet entre en hiver, le ciel me fait des bleus.  Dehors, le monde chancelle, grisonne et s’enlaidit. Le soleil tremble, grelotte, s’épuise. C’est un juillet de marbre, un mois aux reflets gris. Une Saison en enfer, c’est Rimbaud sous la pluie. La rivière qui m’abreuve peu à peu s’ankylose. C’est une triste chanson fredonnée aujourd’hui. Celle des matins maussades, des journées rocailleuses, des aurores tourmentées. Mon soleil rapetisse, se cache et se consume. C’est une bougie frileuse. Elle vacille et frissonne mais résiste à la nuit. Me revient La Fontaine. Ce n’est pas tout de geindre. Il faut sortir d’ici.




lundi 12 juillet 2021

Au fil des jours, Carnets du quotidien.

 Mon univers est un jardin où les fourmis font des affaires. Les escargots chaussent des patins, les araignées portent des altères. Je les côtoie de bon matin, un pas devant, un pas derrière. Quand je caracole mon chagrin, que j’ai du plomb dans les artères, je fais la ronde avec entrain, un pas en avant, un pas en arrière. J’ai une chanson pour le pinson, un trémolo pour l’abricot. Une ritournelle pour le crapaud, des farandoles plein mon chapeau. Mon quotidien c’est un plumier. Une comptine à pas cadencés. Trois pas de côté, dix pas à l’envers. Sept pas à cloche-pied, cinq pas de travers.




samedi 10 juillet 2021

Au fil des jours, Carnets du quotidien.

 C’est un soir de juillet. Au village, le bal bat son plein. Dans mon jardin, l’écho des années 80. Me reviennent les slows collés, les baisers chapardés, la guinguette sur le lac. Je me souviens les copains, les cigarettes, les premières taffes qui font tousser. Comme un poisson rouge asphyxié, j’ai le regard du condamné. J’ai quinze, dix-sept ans. Dans les yeux, l’étincelle. Le rendez-vous galant. Les vinyles, la buvette, les petits verres à cinq francs. Dans la bouche, le goût des tequilas frappées. C’est fort, c’est amer, c’est salé. J’ai les synapses en terrain accidenté, les tympans sur une fréquence étoilée. Je me souviens les bals musette, les lumignons. Les amours transitoires, la promesse de l’été. Dans le cœur, l’arôme sépia de ma jeunesse comme la saveur d’un bon café.




vendredi 9 juillet 2021

Au fil des jours, Carnets du quotidien .

Elle m’apaise, Blanche. Quand elle grelote un miaulement. Quand elle pose sa patte dans mon cou. Quand ses yeux en amandes me fixent d’un air si doux. 

C’est une aristocrate, Blanche. Elle dédaigne le vulgaire. C’est dans la volupté qu’elle traite ses affaires. Installée dans la causeuse, elle tient salon, ordonne, légifère. Le commun l’indiffère. Elle fréquente les astres, les étoiles, l’univers. 

C’est Madame Récamier, c’est un tableau, c’est un mystère. Sa robe est veloutée, caressante. Céleste. Son regard éthéré transperce la matière. Elle voit dans l’au-delà, traverse les frontières. Elle touche l’invisible, converse avec la Terre. 

Elle m’écoute, Blanche. Quand je suis dans mon bain, aux fourneaux, au jardin. Attentive et soucieuse quand j’apprends à me taire.




jeudi 8 juillet 2021

Au fil des jours…

Il est des journées indociles où mes pensées s’obstinent à réfléchir à ma place. Alors j’écris. Je rentre dans une bulle, crayonne des sensations. Les mots sont des pinceaux capricieux. Il s’invitent, s’imposent, s’échappent. Patiente et opiniâtre, je rature à foison. Disloque les morphèmes, fait chanter les phonèmes, conjugue à perdre haleine. Le style est un oiseau qui s’envole à tir-d’aile, qui revient à fleur d’eau. C’est un océan qui s’en va, une idée qui s’en vient. Un poisson qui frétille au bout d’un hameçon, une vision qui fourmille, apparaît, tourne en rond. Quand mes pensées sont blêmes, que le monde est malade, que ça ne tourne plus rond, je confie mes « je t’aime » à mes tendres crayons. 




mercredi 7 juillet 2021

Au fil des jours…

 S’il y a une chose dont je suis sûre, c’est que je vieillis. Le reste n’est que conjectures. Un matin, je me suis apparue. Le temps avait visité les courbes de mon visage, voyagé sans encombres sur l’échancrure de mon corsage. Pirate aux tempes argentées, il avait dérobé mes perles pour s’en faire un blason, installé ses pénates au cœur de ma maison. Je partage avec lui le rythme des saisons, l’ennui du quotidien, les étendues nouvelles. Il a pris ses quartiers, respire à notre unisson. J’ai beau maquiller les contours, lisser les lézardes, l’écorce de mon plastron frissonne chaque jour davantage. J’ai les mains vieilles et je suis devenue sage.



lundi 5 juillet 2021

Au fil des jours…

 


Il y a des jours où je cours partout. C’est plus fort que moi, je ramasse tout. Là un citron, là une chandelle. Une tasse de thé, une hirondelle. Je fais valser les bibelots, tinter la vaisselle. S’envoler les rideaux,  trembler les coccinelles. Là une abeille, là un oiseau, là mes mitaines, là un manteau. Je fais s’éparpiller les feuilles qui tapissent le jardin, s’en aller les araignées qui tissent bon train, s’enfuir le coq qui s’égosille au petit matin.

Il y a des jours où j’enrage tout. La pluie, le vent, les grandes marées. 

Je suis la tempête impromptue, l’orage suspendu qui gonfle dans la cohue d’un ciel embouteillé.

dimanche 4 juillet 2021

Au fil des jours…

 La pluie tombe, au loin l’orage fulmine. Les nouvelles sont mauvaises, je reste dans mon lit. C’est bien beau les comptines, les guirlandes dans les mots. C’est bien beau bader aux grenouilles, compter les escargots. Se gausser des épines, endimancher le gris mais les nouvelles sont mauvaises et je n’ai pas de parapluie. Le lierre sort ses ventouses et rampe sur les murets. Sur terre le tonnerre gronde, les cafards s’amoncellent. Ils clapotent dans leurs bottes, complotent et s’éparpillent. C’est un drôle de dimanche. Une journée immobile. Un matin d’indolence. Je cherche mon parapluie. L’inondation menace, je monte sur mon lit.Le monde est sous amphétamines, les tigres sont de sortie. La blessure est mortelle, la plaie suinte et gangrène. Les nouvelles sont mauvaises, toujours pas de parapluie. C’est un paratonnerre que je place sous mon lit. 




samedi 3 juillet 2021

Au fil des jours…

 Juillet a entrouvert la porte. Il a toqué sans bruit. Caressé mon visage. Accaparé mon lit. Dans un soupir suave, entonné une romance alanguie, une moite mélopée, l’entêtante musique des crépuscules enivrants et des matins fleuris.

Dans la lumière du soir, au moment où les couleurs s’adoucissent et teintent le monde d’une étincelle mordorée, Juillet s’est annoncé. Souffle ardent, chaude clarté, amant inattendu. Visite inespérée.

Amoureux fervent, Conquistador éphémère, il a saisi le berceau de mon corps et m’a possédée sans un cri.



mercredi 30 juin 2021

Au fil des jours…

 Elle est toute petite Janis. Ses yeux sont verts comme la vigne en été. Son pelage est noir moucheté de bulles couleur café. Elle a la tête d’une omelette un peu brûlée, d’un pot de peinture qu’on aurait mal touillé. Le bouton crème sur son nez plastronne comme un lampion, une luciole dans la nuit étoilée. C’est une teigne, méchante comme un canif bien aiguisé.Ce n’est pas Janis qu’elle aurait dû se prénommer mais Adolfina, Fulgencia, Augustina. C’est une déesse griffue ondulant aux heures chaudes dans les herbes irisées.Elle fait régner la terreur. Une beigne à qui veut l’approcher, une torgnole à ses compagnes de chambrée. C’est une syndicaliste impériale, une anarchiste autoritaire, une revendicatrice exigeante et pressée.Elle talonne le mulot mal embusqué, terrorise le moineau malhabile, bâillonne la cigale crâneuse qui fait sa cagole pendant tout l’été. Elle est comme ça Janis. Irascible et charmeuse. Vénale et enjôleuse. C’est mon chat de Dubout, un livre de Colette, un zeppelin qui tourbillonne dans un beau ciel d’été.







mardi 29 juin 2021

Au fil des jours…

 Il pisse partout Gros Tom. Il a surgi cet hiver par un jour de gros temps, a cogné à notre huis, quémandé le logis. C’est un mâle non castré, un Cyrano volage, un sans-gêne patenté. Il a des couilles en forme de noix, bien en vue, ajustées, solidement arrimées. Le bastingage est boulonné. C’est un O’Malley de passage, un clochard sans bagages, un gros matou tigré. J’ai partagé le mou, les croquettes, la terrasse, révoqué le droit de cuissage. Il éclabousse avec ardeur des phéromones de conquérant, empuantit les murs, les canapés, installe sa pestilence au tréfonds de mon nez. Je collectionne les lingettes, récite des mantras, purifie à l’encens.Je suis le Dalaï Lama du vinaigre, l’Apôtre du désinfectant, le Yogi du désodorisant. Mais Gros Tom est têtu. Il oeuvre avec courage, asperge sans ambages. Quand vient la nuit, juché sur son séant, il me regarde fixement, remercie les étoiles et gueule au firmament.


Au fil des jours…

Cette semaine, j’ai de la visite. Mes dentelles sont défraîchies, mes taies dépareillées et pour les housses de couette, c’est bonnet blanc et blanc bonnet. Je méprise ces cotonnades sans dignité, cochonneries pitoyables et chiffonnées. C’est décidé. Je file acheter une paire de draps. Le long voyage commence. Agrippée à mon charriot, je foule le sol de la grande distribution. Là, je cherche le compartiment linge de maison, parcours les allées, m’égare dans les rayons, demande à la dame, repars en tourbillon. Je trouve. Hagarde, échevelée mais vivante. Sous mon nez, l’Anapurna du textile. Du lin, du coton, du nylon. C’est jaune, c’est crème, grenadine ou abricot. Citron, melon, soie, cochenille ou menthe à l’eau. Ça fourmille, ça flamboie, ça m’étouffe. Vite fait bien fait, je plie les gaules, fais crisser les roues du caddie, prends mes jambes à mon cou et tout le reste aussi. 




lundi 28 juin 2021

Au fil des jours…


Ce matin, je me suis réveillée tôt. Ça ne m’arrive pas souvent. D’ordinaire, j’ai la couette affectueuse, l’oreiller aguicheur, le sommeil amoureux. Alors ce matin, j’ai pris tout mon temps. Au réveil, j’ai la singulière habitude de besogner tout à la fois. La tasse de café échoue dans les cabinets, la brosse à cheveux émigre dans la corbeille de fruits, le mascara déménage dans la salle de bains du haut et le khôl dans celle du bas. Je fais d’incessants va-et-vient pensant à tout et à rien. À rien plutôt qu’à tout. À tout et en même temps. 

Ça tournedanse, ça caracole, à coup de talons retentissants. Je m’agite, je bricole, un pas dehors, un pas dedans.

Mais ce matin, j’ai saisi la  rose lumière de l’aurore et comme avec une fraise, j’ai mordu dedans.

Au fil des jours…

 Dans les collines de mon pays, les herbes sont sèches comme des fils d’or. Les chardons bleus font des bouquets, la rocaille blanche crisse sous mes souliers. C’est sec, c’est âpre, c’est râpé. Les touffes de thym se pelotonnent à chaque détour de sentier et la chèvre de Monsieur Seguin gambade en frisotant sa barbichette de sous-officier.

Dans les collines de mon pays, le soleil cogne, il fait très chaud. Mes joues rosissent, mon teint se tanne, je déboutonne mon calicot.

C’est là, souvent, que j’aime à dénouer mes sanglots. L’air entre en moi, libre dans son manteau. Par delà les cyprès, les champs de blés, les noirs corbeaux, j’aperçois Pagnol, et puis Daudet et puis Giono.

J’ai les pieds nus, j’ai mon couteau, un bout de pain et mon chapeau. 

C’est là, au fil du temps, que je tricote des rameaux, hume la vigne, tisse des paniers avec mes mots.

Dans les collines, sur les coteaux, la Provence dans mon sac à dos, je suis Manon et je souris à Giono.





Au fil des jours…


Aujourd’hui, j’ai pédalé. Les jambes et le cœur déliés au milieu des rizières et des canaux, des champs de tournesols et des tracasseries dans mon ciboulot.

Pour sûr, j’ai eu le temps de penser. J’ai suivi le mouvement des rayons du soleil et celui de mes roues. Des cailloux dans la tête et du bleu dans les yeux. 

Alors, j’ai aperçu le clocheton de la ville romaine, le Petit- Rhône laisser sa place au grand, entendu les clameurs du marché, imaginé les camelots aux étals rutilants.

Ma sonnette rouge à pois blancs s’est mise à retentir pour saluer les passants, les badauds en goguette, les coquettes à talons, les rêveurs tambour battant.

Aujourd’hui, j’ai pédalé tout mon saoul, laissé la place au vent et regardé si les étoiles ne brillaient pas un peu plus grand.




Au fil des jours…


 Le vent souffle, tout doux. La brise légère caresse mon visage et les yeux des chattes rejoignent les miens. L’échange est muet, dense, profond.

Les feuilles bruissent, la soirée s’annonce. Sereine et fragile dans un moment d’éternité.

Hier, j’ai planté une passiflore. Elle s’entortille dans son tuteur avec rage et détermination. Elle sait où elle va. Je lui donne l’eau dont elle a besoin pour s’enraciner.

Elle fera le reste toute seule. 

Mon pourpier fait des fleurs blanches. Il refuse obstinément de se colorer davantage.

Je l’arrose aussi. Il fait bien ce qu’il veut. 

J’ai retrouvé mon vêtement indien dans le placard. Acheté dans un village du Penjab il y a fort longtemps. Il y a des siècles. Je porte le caressant coton à même la peau. 

J’entends au loin le vrombissement de quelques moteurs énervés. Ça ne fait rien. Ils font bien ce qu’ils veulent.

Je suis le mois de juin. Tout va bien.