mercredi 30 juin 2021

Au fil des jours…

 Elle est toute petite Janis. Ses yeux sont verts comme la vigne en été. Son pelage est noir moucheté de bulles couleur café. Elle a la tête d’une omelette un peu brûlée, d’un pot de peinture qu’on aurait mal touillé. Le bouton crème sur son nez plastronne comme un lampion, une luciole dans la nuit étoilée. C’est une teigne, méchante comme un canif bien aiguisé.Ce n’est pas Janis qu’elle aurait dû se prénommer mais Adolfina, Fulgencia, Augustina. C’est une déesse griffue ondulant aux heures chaudes dans les herbes irisées.Elle fait régner la terreur. Une beigne à qui veut l’approcher, une torgnole à ses compagnes de chambrée. C’est une syndicaliste impériale, une anarchiste autoritaire, une revendicatrice exigeante et pressée.Elle talonne le mulot mal embusqué, terrorise le moineau malhabile, bâillonne la cigale crâneuse qui fait sa cagole pendant tout l’été. Elle est comme ça Janis. Irascible et charmeuse. Vénale et enjôleuse. C’est mon chat de Dubout, un livre de Colette, un zeppelin qui tourbillonne dans un beau ciel d’été.







mardi 29 juin 2021

Au fil des jours…

 Il pisse partout Gros Tom. Il a surgi cet hiver par un jour de gros temps, a cogné à notre huis, quémandé le logis. C’est un mâle non castré, un Cyrano volage, un sans-gêne patenté. Il a des couilles en forme de noix, bien en vue, ajustées, solidement arrimées. Le bastingage est boulonné. C’est un O’Malley de passage, un clochard sans bagages, un gros matou tigré. J’ai partagé le mou, les croquettes, la terrasse, révoqué le droit de cuissage. Il éclabousse avec ardeur des phéromones de conquérant, empuantit les murs, les canapés, installe sa pestilence au tréfonds de mon nez. Je collectionne les lingettes, récite des mantras, purifie à l’encens.Je suis le Dalaï Lama du vinaigre, l’Apôtre du désinfectant, le Yogi du désodorisant. Mais Gros Tom est têtu. Il oeuvre avec courage, asperge sans ambages. Quand vient la nuit, juché sur son séant, il me regarde fixement, remercie les étoiles et gueule au firmament.


Au fil des jours…

Cette semaine, j’ai de la visite. Mes dentelles sont défraîchies, mes taies dépareillées et pour les housses de couette, c’est bonnet blanc et blanc bonnet. Je méprise ces cotonnades sans dignité, cochonneries pitoyables et chiffonnées. C’est décidé. Je file acheter une paire de draps. Le long voyage commence. Agrippée à mon charriot, je foule le sol de la grande distribution. Là, je cherche le compartiment linge de maison, parcours les allées, m’égare dans les rayons, demande à la dame, repars en tourbillon. Je trouve. Hagarde, échevelée mais vivante. Sous mon nez, l’Anapurna du textile. Du lin, du coton, du nylon. C’est jaune, c’est crème, grenadine ou abricot. Citron, melon, soie, cochenille ou menthe à l’eau. Ça fourmille, ça flamboie, ça m’étouffe. Vite fait bien fait, je plie les gaules, fais crisser les roues du caddie, prends mes jambes à mon cou et tout le reste aussi. 




lundi 28 juin 2021

Au fil des jours…


Ce matin, je me suis réveillée tôt. Ça ne m’arrive pas souvent. D’ordinaire, j’ai la couette affectueuse, l’oreiller aguicheur, le sommeil amoureux. Alors ce matin, j’ai pris tout mon temps. Au réveil, j’ai la singulière habitude de besogner tout à la fois. La tasse de café échoue dans les cabinets, la brosse à cheveux émigre dans la corbeille de fruits, le mascara déménage dans la salle de bains du haut et le khôl dans celle du bas. Je fais d’incessants va-et-vient pensant à tout et à rien. À rien plutôt qu’à tout. À tout et en même temps. 

Ça tournedanse, ça caracole, à coup de talons retentissants. Je m’agite, je bricole, un pas dehors, un pas dedans.

Mais ce matin, j’ai saisi la  rose lumière de l’aurore et comme avec une fraise, j’ai mordu dedans.

Au fil des jours…

 Dans les collines de mon pays, les herbes sont sèches comme des fils d’or. Les chardons bleus font des bouquets, la rocaille blanche crisse sous mes souliers. C’est sec, c’est âpre, c’est râpé. Les touffes de thym se pelotonnent à chaque détour de sentier et la chèvre de Monsieur Seguin gambade en frisotant sa barbichette de sous-officier.

Dans les collines de mon pays, le soleil cogne, il fait très chaud. Mes joues rosissent, mon teint se tanne, je déboutonne mon calicot.

C’est là, souvent, que j’aime à dénouer mes sanglots. L’air entre en moi, libre dans son manteau. Par delà les cyprès, les champs de blés, les noirs corbeaux, j’aperçois Pagnol, et puis Daudet et puis Giono.

J’ai les pieds nus, j’ai mon couteau, un bout de pain et mon chapeau. 

C’est là, au fil du temps, que je tricote des rameaux, hume la vigne, tisse des paniers avec mes mots.

Dans les collines, sur les coteaux, la Provence dans mon sac à dos, je suis Manon et je souris à Giono.





Au fil des jours…


Aujourd’hui, j’ai pédalé. Les jambes et le cœur déliés au milieu des rizières et des canaux, des champs de tournesols et des tracasseries dans mon ciboulot.

Pour sûr, j’ai eu le temps de penser. J’ai suivi le mouvement des rayons du soleil et celui de mes roues. Des cailloux dans la tête et du bleu dans les yeux. 

Alors, j’ai aperçu le clocheton de la ville romaine, le Petit- Rhône laisser sa place au grand, entendu les clameurs du marché, imaginé les camelots aux étals rutilants.

Ma sonnette rouge à pois blancs s’est mise à retentir pour saluer les passants, les badauds en goguette, les coquettes à talons, les rêveurs tambour battant.

Aujourd’hui, j’ai pédalé tout mon saoul, laissé la place au vent et regardé si les étoiles ne brillaient pas un peu plus grand.




Au fil des jours…


 Le vent souffle, tout doux. La brise légère caresse mon visage et les yeux des chattes rejoignent les miens. L’échange est muet, dense, profond.

Les feuilles bruissent, la soirée s’annonce. Sereine et fragile dans un moment d’éternité.

Hier, j’ai planté une passiflore. Elle s’entortille dans son tuteur avec rage et détermination. Elle sait où elle va. Je lui donne l’eau dont elle a besoin pour s’enraciner.

Elle fera le reste toute seule. 

Mon pourpier fait des fleurs blanches. Il refuse obstinément de se colorer davantage.

Je l’arrose aussi. Il fait bien ce qu’il veut. 

J’ai retrouvé mon vêtement indien dans le placard. Acheté dans un village du Penjab il y a fort longtemps. Il y a des siècles. Je porte le caressant coton à même la peau. 

J’entends au loin le vrombissement de quelques moteurs énervés. Ça ne fait rien. Ils font bien ce qu’ils veulent.

Je suis le mois de juin. Tout va bien.