lundi 23 août 2021

Au fil des jours, Carnets du quotidien.

 Il y a de l’impudeur à écrire sur soi et puis donner à lire. La crête sur laquelle le « je » se met en scène est digne du funambule. Comment arriver à trouver l’équilibre ? Rester sur le fil avec élégance. Délicatesse. Dire mais sans nommer, avouer sans le dire. Jongler les sensations, louvoyer, maquiller les sourires et puis se dévoiler juste le temps d’un soupir. Et puis se camoufler. De nouveau. Marcher au bord du vide. Sans tomber. Danser avec le beau. Flirter avec le pire. Je vais dans mon journal comme une équilibriste. Un peintre pointilliste. Mes pinceaux vibrent, ardents. Au fil des jours. Fugaces, colorés ou futiles. Ma palette est pudique et la corde est ténue. Je me meus dans l’onde comme un poisson timide et peins avec mes mots comme une enfant fragile. La plume de l’intime peut se poser en fragrances, en senteurs immobiles qui dénouent les silences. Ce carnet sans nul doute est offert au lecteur. Sans projet, sans calcul, il se brode au crochet. Dans un cri, dans un souffle pour encore respirer.



dimanche 22 août 2021

Au fil des jours, Carnets du quotidien.

 Chaque jour, je me demande quand le flux va s’arrêter. Et chaque jour, tout coule. Tout vient. Tout se dépose entre les lignes. Sur la portée. À la coda. Je suis à moi comme dans un livre. Je me confie, je me préserve. Me reviennent les dimanches en famille. Le couvercle était lourd. La musique sonnait faux. Alors je me perchais. Mon unique refuge était une mezzanine où se trouvaient mon bureau, mes cahiers, mes stylos. J’ai grandi solitaire. Ma singulière amie était une chatte grise. Compagne véritable et confidente exquise. Je tenais un journal. J’y compilais mes mots. Me voilà aujourd’hui. Je suis à l’écriture comme dans un cocon. Une bulle, un rempart, un donjon. Je me retrouve petite fille. Blottie dans ma maison. Au loin, la rumeur se fait vive. J’entends les cris. La clameur des troupeaux. Et si demain me bâillonne, je crierai en silence. Forte au milieu du vacarme. Enracinée. Avec au cœur ma pensée libre, mes amis vrais. L’amour brandi, le cœur au chaud.



samedi 21 août 2021

Au fil des jours, Carnets du quotidien.

 Une vie est sans doute possible ailleurs. Autrement. L’histoire bouscule, précipite, désarçonne. J’ai la tête en désordre, le cerveau tout fripé. J’ai le monde à l’automne, les feuilles noires. Le cœur serré. Pourtant, Août a la lumière friponne. Elle taquine les arbres, joue dans les ombres, moleste les nuages. L’air est bon sur les sentiers, le ciel est d’or. Je suis vivante. Ils volent mon sourire, sectionnent mes lacets mais j’ai des godillots. Ils piétinent mes rives, ternissent mes comptines mais j’ai encore des rimes, des tisons et mes mots. La chape est assassine, le soleil brille moins beau mais il y a d’autres grèves, des rivages et des quais où amarrer la coque. Recommencer. Construire d’autres bateaux. Si on tissait des branches, si on grimpait plus haut ? Mais voilà. Août est en sang. Tout déchiré. L’histoire sanglote, tressaille, taillade. J’ai le cœur dans les bottes. Le monde est en morceaux. J’ai le cœur qui sanglote. Demain est incertain. Demain est terrifiant. Demain est maintenant. Je chausse mes souliers, noue bien fort mes lacets pour affronter le vent.






dimanche 15 août 2021

Au fil des jours, Carnets du quotidien.

 Comme il fait chaud, je me baigne dans l’eau de la rivière. Une eau fraîche. Limpide à ma tristesse. J’éclabousse mon visage et me dissous dans la clarté. J’essaie de débrancher les fils. Pour une heure, une minute, un jour. L’eau m’enveloppe. Je suis un fœtus au ventre de la source. Le soleil est brûlure sur ma peau, la lumière est brasier, l’onde est havre au centre du fourneau. Assise au bout du bord, je suis étrangère à moi-même. Absente au monde. Stupéfiée. Je me remémore des bribes. La petite fille que j’étais. Les yeux grands. Écarquillés. En points d’interrogation. Je me souviens le marronnier, les jours de rentrée, ma petite école et les odeurs de craie. Et ma maison et mes parents et les sentiers innombrables que mes pas ont foulé. Me voilà aujourd’hui. Le regard en miroir au fil de la rivière. En arrêt. Suspendue aux branchages. Incrédule. Je ne suis plus au monde qu’un fétu balloté à la merci des courants d’air.



samedi 14 août 2021

Au fil des jours, Carnets du quotidien.

 Voilà presque deux mois que j’écris. C’est venu comme ça. Un carnet au fil des jours. Un journal. J’ai commencé par m’amuser, inventer des images et rendre mon quotidien cocasse. J’ai poursuivi avec mes états d’âme, usé de la rime, écrit de la Poésie comme ils disent. Au fil des semaines, ma prose est devenue plus sombre. Au fil de l’eau, la pensée vagabonde. Au fil des heures, il y a le cheminement du monde. Cet été, j’ai rangé mon sourire. Faire comme si tout allait bien ? Comme si ce monde allait bon train ? Mais ça ne va pas. Pas du tout. Ça ne va plus. Plus du tout. J’abhorre les bons sentiments. Les faux-semblants. Le décorum. D’aussi loin que je me souvienne, j’ai vomi les dames patronnesses, la bien pensance bourgeoise, les intellectuels à la mine compassée et au teint poussiéreux. Les artistes de cour, les donneurs de leçon. Les bigotes enciergées, les Madames de bon ton. Si j’écris, ce n’est pas pour sourire aux oiseaux et m’extasier sur la floraison de l’amour dans les champs de lavande et les frais coquelicots. Si j’écris, c’est pour expulser. Régurgiter. Ma nausée. Ma fatigue. Mes idéaux souillés. Pour dire merde. Je vous emmerde ! Avec des mots jolis, des mots crasseux, des répugnants ou bien obscènes. La vulgarité ne se niche pas que dans le verbe. Si seulement. Elle est enracinée dans la compassion bien pensante des conformistes à talons hauts et des troubadours à fleurs bien installés sur l’escalier de leur ego.




jeudi 12 août 2021

Au fil des jours, Carnets du quotidien.

 C’est une journée immobile. La chaleur pénètre par tous les moyens. Elle se meut dans les rares mouvements de l’air. Son haleine est fournaise, son souffle incandescent. L’été n’a pas dit son dernier mot. Il se rebiffe et nous consume. Le jardin se tait. Les mulots se terrent. Les oiseaux se recroquevillent dans leurs plumes. Un chat somnole à l’ombre du figuier. Le temps tourne au ralenti. Plus rien ne bouge. Les minutes se cramponnent aux aiguilles de l’horloge. Je suis comme engourdie. À tout jamais. À l’infini. À jamais plus. Et rien ne sera plus jamais pareil. Et mes pensées s’égarent et se mélangent. Et la torpeur qui m’envahit m’emprisonne et m’abêtit. L’été passe, une autre saison s’enfuit. Août est douceâtre. J’ai dans la bouche le goût amer d’un jour sans force, d’un jour sans vie. D’une nouvelle aube aux gris contours .




mardi 10 août 2021

Au fil des jours, Carnets du quotidien.

 Je n’ai jamais réussi à vivre au jour le jour. J’anticipe toujours un ennui, un accident, une catastrophe. Pourtant, je n’ai pas d’autre choix que de goûter l’instant pour survivre au présent. Les lendemains m’inquiètent, l’attente me mine et l’inconnu me terrifie. Alors, je vais. J’avance. Certains jours un peu lasse, le cœur au bord du vide, certains plus cristallins. C’est courageux de vivre. Chaque pas est une prise de judo, un revers à deux mains. Il m’est difficile d’entrevoir demain comme un halo, une éclaircie. Je suis de celles qui dans le noir discernent le charbon, de ceux qui lors de l’accalmie redoutent l’aquilon. Je suis de ces âmes tristes qui font rire les enfants mais portent un baluchon. C’est un été tragique. Une insulte au bonheur. Un juron élégant. Une épine en plein cœur, un pas lourd. Accablant. Il est des journées sombres où Saturne s’invite, m’accable et me fatigue. Dès lors, je sais qu’il faut que je respire et m’abreuve à maintenant.



dimanche 8 août 2021

Au fil des jours, Carnets du quotidien.

 Il pleut. J’écoute passer les escargots. Ils déambulent, leurs antennes dressées. Ils bougent de droite à gauche et traversent les pas japonais. Il s’arrêtent et s’abreuvent à la pluie puis repartent impassibles. Ce sont des voyageurs tranquilles. Indolents, pacifiques. Je suis un escargot. Des mois que je voyage dans mon petit jardin. À mon rythme. Je me permets d’ouvrir des portes sans poignées, je passe à travers les fenêtres et survole les étangs depuis la lucarne de mon grenier. Je transporte dans ma coquille des paysages, des vallées, des monts, des océans. Les photos que je prends sont transcrites sur une toile qui s’anime au gré de mes envies. Je tape parfois très vite, je prends aussi mon temps. Les minutes m’appartiennent. Je forge un autre présent. J’ai dans une valise l’écho de mes voyages, des esquisses, des odeurs, des décalcomanies. Dans mes souvenirs, le bleu des lagons, la langueur tropicale, les pagodes, les mosquées, les églises. Et si demain je chausse à nouveau mes souliers, ce sera dans un monde vénérable où je me sentirai libre de dénouer mes lacets et traverser les routes. Et si demain n’est pas et si demain est pire et si demain n’est plus, j’aurai dans mon sourire le monde que j’aimais.



mercredi 4 août 2021

Au fil des jours, Carnets du quotidien.

 J’écris en rafales. Comme on prend des photos. Je sature, expose et sur-expose. Frénétique. Boulimique. Éperdue. Comme on fume même la nuit. Comme on hurle, comme on jouit, comme on râle, comme on vit. Les périodes où j’écris sont des instants charnières, des crises dans l’existence, des paliers où les mots me manient, commandent ou obéissent. Quand le bâillon m’entrave, m’étouffe et se resserre. Quand l’étincelle jaillit, quand le torrent déborde et que le flux déferle. Du jour au lendemain, la source va se tarir, les mots vont me manquer et je ne pourrai plus écrire. Jusqu’au prochain carrefour, jusqu’au prochain récif, jusqu’au prochain écueil. En attendant, je ne peux plus me taire et fais que mon volcan explose en pleine lumière.





mardi 3 août 2021

Au fil des jours, Carnets du quotidien.

 Ce matin j’ai marché. J’ai sué sang et eau, ardente et déterminée. La pinède est vivante, habitée par le concerto des cigales, les racines et les souches qui jalonnent la montée. Des randonneurs sont passés. En souvenir, au milieu du chemin, un cairn. Leur présence est tangible. Mes souliers crissent. Je marche. Sans me soucier de rien, je laisse mon corps se réveiller, mes jambes se délier. Enfin, je respire. Des mois que j’étouffe. Ma geôle est un pays, l’univers, ma maison. J’ai beau chercher l’issue, je trébuche et m’égratigne. Alors je crapahute. C’est un sentier rocailleux, sec, escarpé. Je foule les rochers, les herbes racornies. Je respire de nouveau. L’air entre dans mes poumons, mes idées s’éclaircissent, le ciel s’entrouvre. Je m’achemine. Je n’en finis plus d’avancer. Se dissolvent sous mes pas la fatigue et l’ennui, la tristesse, les tensions. La rumeur indicible du souffle des saisons.



Au fils des jours, Carnets du quotidien.

 Janis est dans l’herbe. Elle joue avec sa proie. Un gai mulot champêtre dont le corps semble froid. La chasseresse s’annonce. De sa gueule jaillit un miaulement rauque. Emphatique. Triomphal. C’est Diane aux griffes d’argent. Elle a dans les yeux la lueur farouche du guerrier. Elle traverse la pelouse la tête haute, le regard fier, la queue dressée. C’est une drôlesse, c’est la patronne. C’est ma confidente poilue, mon interlocutrice préférée. J’aime les chats pour leur écoute, leur présence discrète. Ils sont là même si l’on croit qu’ils ne le sont pas. Cachés derrière un arbre ou juchés sur les toits. Alanguis sous une chaise, les pattes en éventail, les moustaches en alerte. Ce sont des compagnons sensibles qui ne dérangent pas. Ils se rendent invisibles, ils hument le chagrin, ils guérissent l’âme des Tristes. Ils jouent avec ardeur. Ils clignent pour sourire. On dit qu’ils trompent les humains, qu’ils préfèrent la couardise et les jours de sabbat. Qu’ils aident les sorcières, pactisent avec le diable et les esprits malins. J’habite avec des chats. Ils me veillent et me soignent. D’aussi loin que je me souvienne, c’est grâce à eux que j’ai gravi le ciel et traversé les lacs et touché la lumière quand l’ombre me donnait froid.



lundi 2 août 2021

Au fil des jours, Carnets du quotidien.

 Réfugiée dans le canapé, j’ai Blanche à mes côtés. Je passe mon temps à écrire. Je crois que c’est comme un calmant. Ça m’évite de mal réfléchir. Je me concentre sur le moment. J’observe avec minutie les choses alentour. Les ombres qui s’animent sur le mur du salon, un abat-jour qui pend, la lumière qui s’invite et le souffle du temps. Je n’ai pas envie de retourner dans le flou des souvenirs. C’est trop douloureux, difficile à transcrire. Je m’exerce à chasser les résurgences et repousser l’écho. Le présent me rassure. Je pose mon oreille sur le rythme du vent, sur le chant de l’oiseau, sur la vie en suspend. J’évite de penser à demain. C’est sans doute un peu veule de bouder l’avenir. Mais les journées sont longues. C’est un été de cire. Un été prisonnier entre deux ouragans. L’on m’empêche de fuir, je m’applique avec force à raconter l’instant.



dimanche 1 août 2021

Au fil des jours, Carnets du quotidien.

 J’aime bien les Succulentes. Elles adorent quand il pleut. Elles sont bien quand il vente. Elles croissent sous le soleil et résistent au frimas. Ce sont des plantes faciles à vivre. Elles sont robustes. Coriaces. Je taille le rosier et j’égalise le romarin. Je nettoie le fouillis des massifs, les pieds nus dans la terre, mon sécateur en main. Absente à l’univers, présente à mon jardin, je débranche les machines qui aboient des infos. Aujourd’hui, comme les températures ont chuté, je porte de vieilles chaussettes, un paletot vétuste, un pantalon troué. J’arbore ma tignasse en broussaille. Indomptable. Invaincue. Mes rêveries sont douces, le silence est discret. Seuls les oiseaux serinent. C’est la brise qui me berce et m’endors et me calme. Bianca perd ses poils. Je brosse sa robe laineuse qui lui donne l’apparence d’une reine rasta. Il n’empêche que ses dreads s’accordent à ma chevelure. Nous sommes hérissées. Le temps se traîne, dimanche s’étire et s’engourdit. Lassée, Bianca s’effarouche, s’esquive et miaule au crépuscule. Irrévérencieuse. Tragique. Implacable.