jeudi 30 avril 2020

Chroniques de confinée

Elle se disait:
«  Y a le portrait de Brel, Brassens, Ferré, encadré en grand sur le mur de l’entrée. Ils veillent sur toi, regarde-les ! »
 Nid, refuge, logis abrité du vent et des marées, de la bourrasque, de l’hystérie généralisée.
Rumeurs empoisonnées. Catalepsie accélérée. Conciliabule des hypnotisés.
Elle cuisinait. Carottes, oignons, ail et pensées. Une petite bière, chips, Hemingway. Elle craignait rien. Ils étaient là, bien accrochés, en noir et blanc, bien enchâssés.
Entre gingembre, sauge et lucidité, elle s’activait. Huile de coco dans la poêlée.
Oublier la curée qui divisait. La censure sournoise qui s’insinuait.
Des gens s’enquérissaient, évaluaient, revendiquaient.
Peur des cerveaux décervelés, lobotomie organisée.
L’angoisse de mort anéantissait les esprits épouvantés par la plus épouvantable des épouvantes inoculée.
Même les gens intelligents se résignaient, capitulaient, se soumettaient.
Curry, coriandre, cardamome.
Sel, poivre, cumin.
D’autres alertaient, beuglaient, s’égosillaient.
« Ouvrez les yeux ! Réagissez! »
S’étourdir dans les senteurs épicées. 
Clous de girofle, muscade, anis étoilé.
Chaleur épicée. Senteurs inégalées.

Ne pas flancher.
Brel, Brassens, Ferré, Charles Bukowski et Hemingway.


«  C’est à trop voir les êtres sous leur vraie lumière, qu’un jour ou l’autre nous prend l’envie de les larguer » Léo Ferré.

Chroniques de confinée

Mai. 
Dehors, le printemps éclosait.
Sortir, sortir, sortir. Sentir la fraîcheur de la brise, le vent ébouriffer la tignasse rebelle aux boucles récalcitrantes.
Respirer le soleil, fouler l’herbe au si joli manteau.
Marcher, marcher, marcher. S’arrêter de penser. Ressentir les odeurs, savourer les couleurs. S’attarder devant les ceps en feuilles et repartir.
Humer la terre grasse après la pluie. Glèbe parmi les glèbes. Vivante.
Arpenter les sentiers rocailleux.
Courir, courir, courir.
Se laisser éblouir par le fol éclat du ciel et repartir encore.
Admirer au loin la minuscule chapelle séculaire, présence rassurante.
Écouter l’envol des ramiers, pigeons dansant dans les ramées, admirer les lys jaunes dans les fossés, valser les gentils coquelicots mesdames, gentils coquelicots nouveaux.
Elle fredonnait les chansons enfantines, comptines entonnées de sa voix perçante d’enfant bohème, robe rouge à pois blancs.

Elle interdisait aux ronces plus griffues que les ronces griffantes connues jusqu’alors, de s’entortiller, perfides, dans les méandres de sa pensée.
Elle amarrait solidement le bateau au rocher et un instant, oubliait l’orage qui n’en finissait plus de tonner. 


«  Écrire, c’est hurler sans bruit. » Marguerite Duras



mercredi 29 avril 2020

Chroniques de confinée


Puis vint le temps de la Doctrine de l’enluminure moderne. 
La délivrance partielle des pruneaux agités dans le bocal s’élaborait dans une officine ancestrale où les teintes étaient amoureusement concoctées, pigments pilés, broyés, huilés dans un antique mortier. Il fallait obtenir des nuances de rouge et de vert les plus variées de toutes les nuances du nuancier.
Rouge cochenille. Vermillon. Pourpre. Écarlate ou carmin.
Vert. Clair ou foncé. Vert de gris, kaki, turquoise ou anisé.
Ne pas lésiner sur la sécurité. 
De la bonne ouverture du bocal dépendrait la saveur du pruneau confit confiné rabougri, chétif ou boursouflé.
Ne surtout pas se rater. La qualité du produit résultait de la technique employée.
Ainsi, les régions du globe les plus touchées par le mortellement néfaste virus étaient délicatement peintes en rouge.
Celles les plus épargnées se nimbaient de toutes les nuances de vert. 
Les paysages s’embellissaient, magnifiés par les touches précises, adroites, exercées, des badigeonneurs assermentés. 
Par touches successives, les régions se fardaient. 
Des bataillons d’aquarellistes, fresquistes, paysagistes, impressionnistes  métamorphosaient les espaces urbains et campagnards. 
Les pinceaux bruissaient sur la toile, sur les palettes les teintes se combinaient.
Aquarelles, esquisses, croquis, fusains naissaient dans des nuances de vert et de rouge, pour une remise en liberté échelonnée, fragmentaire et encadrée. 

Échevelés, barbus, chevelus, poilus, hagards ou avisés, les pruneaux devraient être récoltés avec beaucoup de tact et de doigté. 


« On me demande souvent ce que cache ma peinture. Rien ! Je peins des images visibles qui évoquent quelque chose d’incompréhensible » René Magritte.


mardi 28 avril 2020

Chroniques de confinée


Et ça tournait et ça virait. D’un côté l’autre, tout chavirait. Charivari dans les idées. Elle acceptait d’être confinée, embouteillée, capuchonnée, mise en conserve, pasteurisée certainement pas être muselée.
Pourfendre, occire, désintégrer.
Pas de censure. Crier, gueuler. 
Les comprimés de mièvrerie, confiseries édulcorées, affectaient les esprits des humains, troublaient la conscience, engourdissaient le jugement.
Tous n’étaient fort heureusement pas touchés.
La plupart souffrait d’hallucinations aussi hallucinantes que les plus hallucinées des hallucinations.
Certains déliraient, divaguaient, extravaguaient.
D’aucuns acquiesçaient, se conformaient, obtempéraient.
«  Compilation de vos lendemains qui chantent à des prix défiants toute concurrence ! 
Pilules sucrées, salées, hormones homologuées ! »
Mantras, prières, chants sacrés.
Les radios diffusaient, les journaux martelaient, les télés amollissaient, les réseaux sociaux censuraient.
« Nous sommes là pour vous guider ! Ayez confiance ! Nous nous occupons de tout.
 Nous nous occupons de vous. »

L’anastasie anesthésiait.

Dans la maison au cerisier, aux plantes grasses, au citronnier, en compagnie de ses pensées, l’humaine scrutait la direction du vent.



« Il faut s’endurcir sans jamais se départir de sa tendresse » Ernesto Che Guevara.



dimanche 26 avril 2020

Chroniques de confinée

«  En promotion pour toutes les familles confinées, confites et déconfites, pilules de frivolité. Imaginez la vie en kodachrome ! Grande braderie de caléidoscopes pour voir la vie tout en couleurs ! 
Nous prenons soin de vous, peuples de tous les pays ! »
Les slogans pleuvaient pour reverdir les fleurs fanées du souvenir de l’insouciance, de la valse folle des pâquerettes, de la fringuante farandole des bourdons bedonnants, du gazouillis des oiseaux primesautiers dans les champs.
« Pilules vertes, bleues, jaunes, chamarrées, arc-en-ciel, tout est soldé ! »

Confinée confite comme un antique pruneau ratatiné, soumise à une éclipse de légèreté, dans le jardin au savonnier, au romarin, aux oliviers, l’humaine, au calme, réfléchissait.

« L’important n’est pas de guérir, mais de vivre avec ses maux. »
Camus, Le mythe de Sisyphe.


Paysage, Oscar Claude Monet

Chroniques de confinée

En exclusivité exclusive, les présentateurs du Nouveau Ministère des Arts et du Divertissement créaient d’innovants concepts d’émissions doctement divertissantes.
En live, le top 50 des chercheurs les plus prestigieux. Les apprentis connaisseurs tous formés en médecine sur les réseaux sociaux, élisaient leur praticien préféré.
De gigantesques parcs d’attraction éclosaient pour présenter les savants les plus experts dans le domaine de l’expertise.
« Venez visiter la tourelle du Professeur Ripolin ! Il vous épatera avec ses comprimés multicolores, commandités par Zavata !  
Si vous voulez découvrir la technique explosive du savant le plus savant de tous, prenez un ticket pour sa prestigieuse conférence amoureusement concoctée pour vous, dans un laboratoire en écailles de bambou façonnées à la main ! »
Potions, décoctions, breuvages, pommades, onguents, clystères, étaient désormais disponibles sur des tutoriels filmés par des clercs artisanaux, tous plus connaisseurs en médecine que les médecins eux-mêmes.
Les humains, en plus de faire leurs pains, gâteaux, tartes ou gratins, se lançaient dans les diagnostiques. 
« C’est ce médicament qu’il faut ! Non ! Celui-ci !
Ce chercheur est un escroc ! Un barde sorti des forêts bretonnes pour nous refiler des herbes empoissonnées !
Nous préférons l’érudit aux cheveux ras et au poil soyeux ! C’est lui qu’il nous faut ! Et si on prenait l’autre à la moustache en forme de cœur ou aux bacchantes amidonnées ? 
Non. Agenouillons-nous plutôt devant les doctes dogmatiques, certifiés AOC, étiquetés, brevetés, conformes à la conformité., nourris au grain, sponsorisés.»

L’Humanité se divertissait, l’audimat explosait, l’autocratie jubilait. 


« Toute l'excellence de leur art consiste en un pompeux galimatias, en un spécieux babil, qui vous donne des mots pour des raisons, et des promesses pour des effets. »

Le malade imaginaire, Molière.


vendredi 24 avril 2020

Chroniques de confinée


Des doctrines de tous les genres fleurissaient jusqu’alors de part et d’autres du globe. 
Religieuses, juridiques, politiques, mythologiques, scientifiques, sociales, militaires.
Arriva brutalement l’apogée de la doctrine sanitaire. Doctrine la plus dogmatique des doctrines dogmatiquement dogme.
Les gouvernements des républiques scandaient avec ferveur les lois de la Nouvelle Idéologie.
Purifier, désinfecter, aseptiser.
Il fallait à tout prix freiner la progression de la contagion la plus transmissible des contagions la plus contagieuse.
Asepsie, antisepsie, prophylaxie.
Renforcement des mesures sanitaires, contrainte d’éloignement, distanciation sociale.
Les nouveaux mots de la Dictature étaient martelés, déclamés, cadencés.
La terreur s’instaurait dans les populations confinées, recroquevillées, pelotonnées.
La joie de vivre se racornissait, l’inquiétude grandissait, les esprits s’échauffaient.
Les nouvelles règles prophylactiques pullulaient, se multipliaient, croissaient.

Il était un fait avéré.
La Nouvelle Peste décimait les libertés. 






« Dans deux cent cinquante de ces maisons, il y a deux cent cinquante chambres où quelqu'un confesse la médecine, deux cent cinquante lits où un corps étendu témoigne que la vie a un sens, et grâce à moi un sens médical. La nuit, c'est encore plus beau, car il y a les lumières. Et presque toutes les lumières sont à moi. Les non-malades dorment dans les ténèbres. Ils sont supprimés. » 

Knock ou le triomphe de la médecine, Jules Romains.



jeudi 23 avril 2020

Chroniques de confinée

Les jours aigres avaient la saveur amère du zeste de citron le plus acide des zestes  jusqu’alors répertoriés dans le monde des citrons. 
La bile s’échauffait, le souffle se bloquait, la fureur fulminait.
Les bonnes manières inculquées par la civilisation la plus moralisatrice des civilisations morales explosaient dans une déflagration de « Tonnerre de Brest » vitupérants.
Peste soit de l’armée de flaquadins calamiteux, forfants misérables, fredons frelatés, galipots abatteurs de quilles qui dirigeaient les républiques les plus injustes des calamiteuses républiques !
Avaleurs de charrettes ferrées, baronnets emplumaillés, butors empoudrés, claque-dents décérébrés, cuistres encravatés !
Le flot des palsembleus les plus sonores du monde des jurons résonnait, s’amplifiait, vibrait de la plus vibrante des vibrations enregistrées jusqu’alors.
Il fallait régurgiter le dégoût engrangé, myriade de graines patiemment collectionnées dans des bocaux capitonnés.

C’est ainsi que les jours aigres s’enrubannaient d’une douce poésie à la désuète résonance.


«En avant cornegidouille ! Tudez, saignez,écorchez,massacrez, corne d’Ubu ! Ah ! Ça diminue ! » Alfred Jarry, Ubu Roi






mercredi 22 avril 2020

Chroniques de confinée

Confinée comme une bonne partie de la population du globe, une humaine parmi toutes les autres, au mitan de sa vie, cohabitait avec ses interrogations, toutes plus bouillonnantes et harcelantes que les plus harcelantes des élucubrations de la pensée.
Le doute laissait place à l’incertitude qui laissait place à la dérision, elle même remplacée par le cynisme. 
Le pessimisme des jours pluvieux alternait avec les brefs rayons de l’optimisme des jours lumineux.
Ancrée en elle depuis son plus jeune temps, se posait la question du sens.
Les pâquerettes de l’insouciance ne s’étaient pas penchées sur son berceau.
L’humaine parmi toutes les autres, au mitan de sa vie, écrivait les jours de pluie. 
Quand les bourrasques l’assaillaient, elle se penchait sur son clavier et laissait débouler ses pensées, dégringolades acidulées, rêveries enchevêtrées, entre l’aigre et le doux. 


«  La lucidité est la blessure le plus proche du soleil » René Char








mardi 21 avril 2020

Chroniques de confinée

Dans les hôpitaux saturés de malades, manquaient lits, blouses, masques, respirateurs indispensables à la survie de tous les humains, touchés de plein fouet par l’impitoyable virus inconnu jusqu’alors. 
Les systèmes de soin avaient depuis longtemps été saccagés. 
L’humanité n’avait de cesse de devenir la plus inhumaine de toutes les humanités du système solaire.
Le cataclysme provoqué par l’arrivée foudroyante du mortellement néfaste virus débusquait mensonges, escroqueries, vilénies les plus viles engendrées par l’adoration du profit au dépens du bien-être des populations du globe.
Cruauté, hypocrisie, forfanterie, sournoiserie, dissimulation, asservissement.
Les plus abjectes des injustices les plus injustes apparaissaient au grand jour. 


La plus intense des colères grondait. Les peuples se réveillaient. Le murmure de la révolte chuchotait son plus inlassable chuchotement.



  • « La guerre, c'est la paix. »
  • « La liberté, c'est l’esclavage. »
  • « L'ignorance, c'est la force. »       George Orwell, 1984. 

lundi 20 avril 2020

Chroniques de confinée


En attendant, il fallait faire face. Se protéger le plus efficacement possible des attaques du plus pernicieux des virulents virus masqués.
Les masques de protection manquaient. Les dirigeants de toutes les républiques ne disposaient d’aucun stock, trop occupés à diriger les affaires les plus dirigeables du monde de la finance. 
La santé ne faisait pas partie de leur priorité la plus prioritaire. 
Ainsi, ouvrières aux doigts de fées, petites mains minutieuses, créatrices ensorceleuses, se mirent à confectionner des masques. 
Élastiques, tissus, étoffes, virevoltaient dans les ateliers.
Machines à coudre, aiguilles, ciseaux à broder, tout s’entrechoquait dans un joyeux cliquetis de bruits entremêlés.
La sarabande des sorcières aux doigts légers brodait, cousait, festonnait.
Mètres ruban, fils à coudre et canettes transformaient magiquement les cotonnades, brocarts et soieries dans une des valses les plus effrénées de toutes les valses endiablées.
Depuis leurs sémillants ateliers enfiévrés, l’escouade des tailleuses, coupeuses, habilleuses fourmillait d’un fourmillement plus foisonnant que celui des plus foisonnantes fourmilières.


La résistance se poursuivait.


dimanche 19 avril 2020

Chroniques de confinée

Au sein des foyers, l’harmonie du confinement était bien différente selon les familles et les conditions d’enfermement.
D’aucuns clamaient à corps et à cris que l’arrivée impromptue du plus scélérat des virus mortellement funeste leur permettait de se redécouvrir, de ressentir de nouveau la présence de leur enfant intérieur, moi métaphorique enfoui par les tracas du quotidien.
D’autres vitupéraient, déprimaient ou s’activaient.
Certains supportaient avec courage et résilience la plus solitaire des solitudes résilientes.
Un grand nombre attendait d’être libéré des chaînes de la vie maritale devenue maritalement insupportable, tandis que les oubliés continuaient leur vie d’oubliés.
L’arrivée du virulent virus tourneboulant chamboulait les rites, les rythmes, les vies.
Pour les uns, une routine cédait la place à une autre, un tracas en engendrait un suivant, une angoisse prenait le pas sur la précédente.
Pour les autres, la clarté de la lune, le bruissement du vent, la chaleur du soleil printanier faisaient oublier les effets mortellement néfastes du plus néfaste des virus. 


Il était néanmoins un fait indéniable.             

L’Humanité s’interrogeait.





Chroniques de confinée

Les mois passaient. La résistance s’organisait. L’humanité se réveillait.
Malgré les assauts du virulent virus menaçant, tous les bipèdes encore en bonne santé débroussaillaient, plantaient, semaient, sarclaient, bêchaient.
Face à l’adversité, la culture de la patate s’avéra être une nécessité. 
Paillage, cerclage, bouturage, semis. 
L’humanité redécouvrait l’agriculture. Les prédicateurs de la super production intensive de masse, décimés par le plus virulent des virevoltants virus, ne pouvaient plus fournir les magasins désormais vides. 
Pioches, pelles et râteaux en mains, la population colonisa l’espace bétonné et le monde se mit à reverdir d’un vert plus vert que le plus verdoyant des verts. 
Artichauts, lentilles, pousses de bambou, carottes et choux inondèrent la surface du globe. 
Limaces, escargots, pucerons cohabitaient désormais avec les laitues. 
Une entente cordiale s’instaurait. 
Plus d’épouvantails aussi épouvantables que les plus épouvantables des épouvantails.
Pies et corneilles survolaient les champs en totale harmonie avec le monde végétal. 
Graines, jeunes pousses et bourgeons s’épanouissaient au soleil. 


Les hommes paraissaient s’unir contre le plus virulent des inévitables virus et étaient sur le point de redécouvrir l’autonomie.


samedi 18 avril 2020

Chroniques de confinée


Et pourtant, les dirigeants faisaient leur possible afin de rassurer une population au bord du désespoir. 

C’est ainsi que tous les présidents de la planète parlaient aux citoyens inquiets, soucieux de leur insuffler l’énergie vitale, indispensable pour combattre le virulent virus tournoyant.

«  Vous souvenez-vous, chers amis ? 
Vous souvenez-vous de ces doux jours heureux, quand les espiègles gardiens de nos républiques vous chipotaient un tantinet lors de nos conviviales manifestations de rue ?
Vous souvenez-vous comme il était doux, le temps où ces rassemblements ravivaient les taquineries de nos pourvoyeurs de l’ordre  ? 
Ils avaient tous l’humour un brin à fleur de poils. 
Vous souvenez-vous de nos réjouissants rassemblements dans nos agréables et pittoresques contrées campagnardes, villes et villages ? 
Vous souvenez-vous de ce paysage voilé par la brume poétique, un zeste acidulée ?
Et comme nos défenseurs du bien-être savaient manier le lancer de cotillons ! 
Souvenons-nous avec émotion de nos farandoles exubérantes  ! 
Elles reviendront ! En force mes chers amis. Nous ne saurions imaginer un monde dépourvu de ces facétieuses fêtes ! »

Et c’est ainsi que les caciques à barbe blanche, sages défenseurs des républiques, s’adressaient à une population à bout de nerfs, tentant de ranimer la flamme, ternie par l’arrivée dévastatrice du  plus virulent des virus  tourbillonnants.


Il était pourtant un fait établi : bon nombre d’humains n’étaient pas dupes.



Chroniques de confinée

Et pendant que la population tentait tant bien que mal de survivre aux assauts du plus virulent des virulents virus, il lui fallait aussi exercer sa patience, contenir sa colère, respirer en cadence.

Les gouvernements de tous les pays ordonnaient, légiféraient, imposaient. Il ne fallait désormais plus mettre le nez dehors. 
Chaque voisin suspectait l’autre, chaque infraction au Nouvel Ordre était sévèrement vilipendée. 
Les humains frondeurs ou exerçant encore leur jugement, faussé par la peur du virulent virus embusqué, étaient systématiquement pointés du doigt, filmés par les caméras du nouveau ministère de l’Ordre et du Respect de l’ordre. 
Celui qui désirait faire son jogging ? Mis au banc de la population par une partie de la population elle même mise au banc de la population, réduite au silence par les lois du Nouvel Ordre.
Celui qui humait l’air à son balcon ? Dénoncé  par la plus dénonciatrice des lettres de dénonciation.
Même les humains qui risquaient leur vie pour guérir les hommes des effets virulents  du plus virulent virus, étaient signalés, désignés coupables de répandre la contagion.
La suspicion régnait. Méfiance, haine, rancoeur et hystérie habitaient le cœur des hommes, empoisonné par la Peur, encore plus virulente que le plus virevoltant des virulents virus camouflé. 


L’humanité semblait  sur le point de sombrer dans la folie.



vendredi 17 avril 2020

Chroniques de confinée

Certains réfléchissaient. 

Ils se demandaient pourquoi ce virulent virus arrivé depuis une contrée lointaine sous la forme d’un pangolin masqué leur infligeait toutes ces souffrances. 

Était-ce un Dieu Vengeur ? Une bourrasque saisonnière ? Un dangereux poison sorti des usines pétrochimiques de cloportes endimanchés, rictus carnassier, requins financiers ? 
D’autres se laissaient porter par l’insouciance et admiraient le monde redevenu si calme. Les rivières reglougloutaient, le chant des oiseaux reroucoulait dans les recoins les plus obscurs des villes industrielles désormais à l’abandon. 
Bourdons, chenilles et papillons virevoltaient dans un joyeux tintamarre. 
Les pin up se prenaient en photo, enrubannées de philtres scintillants tous aussi enchanteurs les uns que les autres. 
Mais que la vie semblait belle sous les feux d’Instagram ! 
Les alcooliques en gestation débridaient désormais sans aucune mesure leurs penchants coupables. 
Les mangeurs de carottes crues se dissimulaient pour avaler goulûment des brocolis caramélisés à la graisse d’oie. 
Toutes les barrières des interdits explosaient. 
Il fallait bien oublier les soucis. Meubler l’ennui. Ne pas sombrer dans la folie. 
Chacun puisait dans ses ressources pour affronter les attaques de l’inévitable virulent virus embusqué.

A chaque jour suffisait sa peine.


Chroniques de confinée

De part et d’autre de la planète, les humains, redevenus poilus et chevelus malgré eux, se précipitaient, en panique, dans leurs hypermarchés super puissants de la surproduction pour y trouver en masse du coton ouaté, symbole de la douceur qui désormais avait quitté la terre. 
Des monceaux de papier toilette débordaient des charriots. 
L’obsession avait migré. Du cheveu, elle semblait maintenant s’agripper aux besoins primaires.
Les humains régressaient. 
Poil rêche, idées noires, œil torve, ils se faisaient maintenant la guerre. 
Le virulent virus était au centre de toutes les conversations. 
En plus de tuer, d’annihiler la pensée, de fausser le jugement, il divisait. 
Chacun donnait son avis. 
Chacun se disait éminent spécialiste du virulent virus. 
Confinés derrière les ordinateurs que les gouvernements de tous les pays leur laissaient à disposition afin de canaliser leurs virulentes virtuelles émotions, les humains se déchiraient.





jeudi 16 avril 2020

Chroniques de confinée

Un virus très virulent se propagea dans la population. Les humains perdaient leurs repères, leur sang froid, leur liberté, leur réflexion, leur moral, leur santé. Ils ne savaient plus où donner de la tête tant le virus très virulent modifiait leur jugement. 
Et il était un fait particulièrement étrange. Leur chevelure semblait les obséder. 
Couper. Couper. Couper. Coûte que coûte. 
Colorer le gris, maquiller le blanc, ne plus penser qu’aux racines. 
Dissimuler, tailler, égaliser.
De la longueur de leur chevelure, dépendait leur vie. 
Partout on en voyait à la cherche de tondeuses, coupeuses, effilocheuses, débroussailleuses.
Le chaos régnait.