vendredi 15 mai 2020

Pensées

Des jours, comme ça, comme une envie de se barrer, de larguer les amarres, d’enjamber les montagnes et de faire la nique au présent.
Déserter. Prendre la poudre d’escampette, hisser le drapeau rouge et ficher le camp.
Se foutre éperdument des trépidations des hommes, de la folie généralisée et des grandes marées.
Se moquer des assauts du vent, de la violence des tremblements, du tohu-bohu incessant.
Et puis arriver à dire merde sans le dire vraiment.
Sourire tout en faisant semblant.
Pleurer tout en se marrant.
Sourire aux cons, dire bonjour à la dame, finir son assiette, gueuler au firmament.
Marcher pieds nus, caracoler les étoiles, chevaucher l’océan, garder hirsutes les cheveux, nager sous les cieux et puis grincer des dents.
Finir son assiette, dire bonjour à la dame, merci au monsieur et puis claquer les dents.
Cracher jusqu’à l’écœurement. Arracher le bâillon des histrions légiférants. Des étrangleurs crasseux et puants. Des égorgeurs de charognes sales et concupiscents.

Et puis sourire aux cons jusqu’à épuisement.



jeudi 14 mai 2020

Pensées

Elle conduisait. Bien concentrée, vitesse mesurée, dans le respect des distances de sécurité.
Soudain, impromptue, l’arrivée d’un écureuil épicurien, alerte, frivole et imprévoyant. 
Méfiance rompue, sautillements allègres, acrobaties saugrenues.
Un Joli petit rongeur roux, queue en panache, gaillard et éveillé.
Sémillant et décontracté. Mais voilà, il voulut regagner le champ de l’autre côté...Et pour se faire, la nationale à traverser...
Stop ! Freiner ! Attention ! Danger ! La frétillante petite bestiole  terrorisée ne savait plus dans quel sens naviguer. 
Des automobilistes altruistes et concernés, stoppaient, freinaient, zigzaguaient, klaxonnaient.
Sauver l’animal de la furie des carcasses d’acier. Feux de détresse allumés, clignotants illuminés, plaquettes de freins au cran d’arrêt. 
Les bipèdes redevenaient propriétaires de la terre, des herbes, des fleurs, des arbres, de la faune et de l’éternité.

Les animaux désorientés ne pouvaient plus danser, gambiller, cheminer sur les sentiers, les chemins, les routes et les allées. 
D’arbres en arbres, d’autostrades en traversées, de chemins en drailles, de raidillons en désescalades, une clameur bruissait. 
Dans les contrées, les bourgs, les étangs, les montagnes, par delà les mers et les  lacs argentés, loin dans l’écho du ciel, du tréfonds de la savane, des entrailles de la forêt, un bruit sourd grondait, tonnait, jaillissait.
La déchirante complainte de la gent animale vibrait, dans un Fado désenchanté.



mercredi 13 mai 2020

Pensées

Dans la rue, partout,  des fantômes masqués. Spectres encarnavalisés, silhouettes esquissées.
Des yeux se croisaient, s’observaient, se scrutaient.Des regards terrifiés, enjôleurs ou amusés. 
Comment communiquer, partager, échanger ? 
Partout, les gestes barrières à adopter. Pas moyen de se soustraire au rituel des naufragés.
Sourire avec les yeux, bouder avec les yeux, s’aimer avec les yeux.
Froncer le sourcil, plisser le haut du front, écarquiller les mirettes. 
Partout, la valse du taffetas, des tissus colorés, des étoffes satinées.
Et si le masque s’accordait avec le veston, la robe ou le pantalon ? 
Choisir les couleurs, la cotonnade ou le masque en nylon. 
«  Collection d’ été ! Fine toile brodée à l’ancienne ! Batiste ou dentelles, brocart ou cotonnade ! Mesdames soyez encore plus belles ! Accordez vos violons, sortez les violoncelles ! Dansez le cotillon ! »
Et l’on voyait de splendides demoiselles arpenter les trottoirs, fouler les boulevards, sillonner les rues et les chemins, d’un pas allègre ou incertain. Drapées de mascarons loufoques, bigarrés, chamarrés, sobres ou endimanchés, les mignonnes ranimaient la flamme de l’ élégance et du charme depuis de longs mois claquemurée.


lundi 11 mai 2020

Pensées


Compagnons fidèles des jours d’orages et de solitude, les livres et les chats peuplaient le monde lunaire de la rêveuse enfant. Elle observait la vie à travers la voilette défraîchie d’une robe de mariée amidonnée et d’un tonitruant torrent au tumulte incessant.

 L’insouciante légèreté ne toquait pas à son huis, désertait ses journées, dédaignait le logis. 
L’éclipse du soleil assombrissait le jardin, obscurcissait la clairière, là-bas, tout au bout du chemin, embrumait la rivière qui fredonnait, badine, un glouglou radieux et incertain.

Porter un masque, faire semblant, jouer la comédie, endosser des rôles extravagants.
Trimbaler un nez rouge, chausser des souliers bondissants, caracoler le printemps.
Badiner, se gausser du mauvais temps, faire de l’ironie son acolyte réconfortant.

Pour le fameux Monde d’Après, elle enfilerait le déguisement du clown facétieux, braillard et tonitruant.
Culottes larges et carreaux blancs, larmes de crocrodile pour faire rire les enfants, sans oublier la valise rouge aux accessoires extravagants. 

Elle se vêtait d’un caparaçon coriace et résistant pour supporter le rigoureux hiver d’un probable désenchantement.

« Il me semble que je serai toujours bien là où je ne suis pas. » Charles Baudelaire, Le spleen de Paris.


dimanche 10 mai 2020

Pensées

Enfant, native d’une bourgade enclavée entre deux montagnes aux faîtes affûtés, elle avait survécu aux soupes saupoudrées de parmesan, aux vêtements de laine rugueux, tricotés grossièrement, chandails chamarrés et  bonnets bariolés, dont sa mère l’affublait fièrement.
Ainsi accoutrée, elle retrouvait la cour de récré, la classe aux odeurs de craie, les  camarades hilares, issus de la société bien pensante d’un village produisant plus de bienheureux en manque d’iode que de lumières aux néons éblouissants.

Elle s’en sortirait d’autant plus aisément qu’à presque cinquante ans, la soupe était depuis longtemps régurgitée et les fringues refourguées  à de lointains cousins en manque d’inspiration  et de dignité.
Sa mère l’habillait tendance. Elle aimait le dernier cri. Ce qu’elle ne cessait de lui expliquer quand sa fille lui reprochait de l’attifer comme un clochard dénué de respectabilité.







Chroniques de confinée

Elle s’imaginait la vie d’avant, le jadis de ses aïeux, l’autrefois des campagnes, les intérieurs silencieux, les vies rudes des bergers et des épouses attentionnées.
Écrire, écrire, écrire.
Éviter de penser à ce drôle de printemps, coincé entre deux éternités.


Silence ouaté. Nuit qui s’engourdissait. La cacique bergerette filait la laine, ravivait de sa timide présence la bastide assoupie. L’agnelage, soupir brisé, était enseveli dans la moiteur des bêlements courbatus.
Elle tisonnait le feu dans l'âtre, s'emparait de l'instant floconneux, écharpes entremêlées.
Elle filait, rouet des temps anciens.
Elle songeait, petite mère, à ce repos ténu, réconfortée enfin par le chaudron qui rougissait dans la pénombre du petit cabanon, humble « outaou » embaumé du thym touffes rabougries de cette terre rouge myriades de cailloux.
Elle songeait à l’étendue de sa terre. Aux olives, au fenouil, à la roquette, aux poireaux sauvages, à la menthe étoilée, au romarin dans le panier. 
Elle songeait, petite mère au teint tanné, mains rugueuses au labeur journalier.
Elle songeait aux agneaux qui dodelinaient dans la bergerie.  
Laineuse était sa soirée.
Demain elle s’en irait de nouveau sur les sentiers.
Demain elle serait là, et de son œil bienveillant, présence familière, elle glisserait dans la gibecière de son berger,
l’olive et le thym frais. 


Elle souriait au mois de mai pour éviter de se mettre à pleurer.

" J'écris un peu avec une main d'aveugle, j'écris en lançant ma main dans le noir du langage pour trouver les mots qui vont éclairer, me soutenir, me faire continuer et m'aider à vivre. " Christian Bobin. 


samedi 9 mai 2020

Chroniques de confinée

Sur ces entrefaites, dissimulés derrière les bosquets, les touffes de genêts et les ronces de mûriers, les hérissons stridulaient, les canards cancanaient, les renards glapissaient.
La rumeur galopait. L’imminence du danger terrorisait. Des conciliabules s’orchestraient dans la clandestinité.
Le répit avait été de trop courte durée. Les espèces animales à plumes, poilues, velues, dodues, bourdonnantes, roucoulantes ou glougloutantes appréhendaient le funeste retour à la normalité.

Insectes, limaces, escargots, araignées tremblaient, s’affolaient, tressaillaient.

« Attention Goulag ! Travaux forcés! Peine à perpétuité ! »
Entendait-on dans les ramées, les taupinières ou les terriers.
« Ils sont de retour, les fossoyeurs de notre destinée ! Ratiboiseurs de poils, tricoteurs de filets, inventeurs sadiques de pièges empoisonnés ! Chauffards esquintés du bulbe dans des bolides en taule d’acier ! 

Chez la gent animale, le dératatinement impromptu du clan des forcenés hirsutes agités du bocal, inquiétait, consternait, révulsait. 
Finie la liberté.
Adieu l’ insouciante insouciance de la cabriole sur les routes et les sentiers dépeuplés.
Finie la brasse déliée dans les eaux limpides épurées des plastiques et autres harpons meurtriers.
Censuré le retentissant coquelinement matinal à gorge déployée. 
Les animaux se concertaient. Dans la case aux palabres, les discussions allaient bon train. Et ça piaillait ! Et ça caquetait ! La cahute ressemblait à un poulailler braillard, une gargote emplumée, un bouge à cocottes parfumées.
Les affres du tourment gangrénaient les espoirs des plus optimistes.
Loups, marsouins, cerfs, dauphins, furets, musaraignes, mulots, corneilles,   couleuvres ou serpents tricots rayés, s’unissaient à l’unisson en de longs sanglots éperdus.
Ils se sentaient moulus comme des grains de café, vermoulus telles autant de brindilles nécrosées.
Le moral était au plus bas.

Même les dociles moutons assujettis aux chiens, eux-mêmes sous le joug des   bergers, issus de la confrérie des pruneaux champêtres, se montraient solidaires.
Les Anciens, gardiens séculaires de la parole sacrée, les Grands Sages, paisibles et pondérés, ne trouvaient plus les mots pour réconforter.

La trêve se terminait. Ne restait plus qu’à espérer que les pruneaux marinés, confits, gonflés, trempés dans l’eau de vie, auraient appris du courroux de la guilde des Pangolins meurtris.

« Dans les poulaillers d’acajou,
Les belles basses-cours à bijoux
On entend la conversation 
D’la volaille qui fait l’opinion » Alain Souchon, Poulailler song



« La dictature parfaite serait une dictature qui aurait les apparences de la démocratie, une prison sans murs dont les prisonniers ne songeraient pas à s'évader. Un système d'esclavage où, grâce la consommation et au divertissement, les esclaves auraient l'amour de leur servitude ... » Aldous Huxley, Le meilleur des mondes.







vendredi 8 mai 2020

Chroniques de confinée

Les jours s’égrenaient, une doctrine nouvellement novatrice émergeait, susnommée « libération conditionnelle sous condition de libération conditionnellement libératoire ». 
Elle était tarabiscotée de la tarabiscote, confuse et entortillée. Les censeurs avaient légiféré.
D’intransigeantes consignes de sécurité étaient transcrites, répertoriées, placardées.
Sur les toits, les immeubles, les clochers, gravées au burin dans le firmament de la voûte étoilée.
Calligraphiées à la plume d’or dans de grands cahiers, les recommandations croissaient , gonflaient, bouffissaient, tels autant de crapauds congestionnés.
« Alinéa , tiret, ouvrez les guillemets.
Retour à la ligne, Majuscule. Point. Parenthèses fermées.
Si vous toussez, tarabustez-vous la tarabistouille !
Marchez dans la direction du sens giratoire opposé à la circulation autorisée.
Si vous postillonnez, prenez promptement votre température rectale !
Thermomètre intégré. Charge virale détectée.Carnet de santé tamponné. 
Surveillance, authentification, classification.
Marcher droit. Filer. Raser les murs sans les effleurer.
Ne pas croiser le regard de son voisin mal fagoté. 
Interdiction d’ébruiter des loufoqueries fantasques contraires au Dogme de la congrégation des Bienfaiteurs.
Au pas. En ligne. En rangs espacés.
Rompez. »
Ainsi s’établissait la Doctrine de libération conditionnelle sous condition de libération conditionnellement libératoire. 
Les humains, désorientés, devaient se soumettre au principe de précaution, de prudence et de circonspection.
Le mortellement néfaste virus toujours très malveillant, était perfidement embusqué dans les tissus, les pièces sombres mal aérées, les esprits épouvantés.
Cheveu gras, œil hagard, regard fixe, teint blême et cireux, la confrérie des pruneaux,  en voie de dératatinement imminent, désertait, terrorisée, les bocaux fraîchement débouchés.

Circonspecte, méfiante, ultra concentrée, la communauté avançait désormais masquée.

« Hors de saison, le fruit n’est bon. » Proverbe français, 1611


jeudi 7 mai 2020

chroniques de confinée

Elle se plongeait parfois dans ses vieilles photographies, images du souffle des saisons, désuètes fragrances de la vie qui s’enfuyait.
L’hier embaumait la pensée, une présence familière, un autrefois enraciné.
Des parfums surannés enivraient de leur tendre présence les effluves du souvenir, lianes inextricables, luxuriantes, inaltérables.
En elle remontait la douce et profonde nostalgie des secrets collectionnés, jalousement engrangés dans un vieux coffre fermé à clé. 
Lettres, clichés et vieux papiers cohabitaient dans un désordre décomplexé, fantasque et tarabiscoté.

Elle avait dans ses poches un pré vert et des pissenlits, des balades en forêt, un mulot en colère, la montagne en bandoulière.
Dans son regard émerveillé, l’or des gentianes éclaboussé, les lacs des glaciers bleutés, l’âne si doux, portant la croix de Saint André.
Dans sa besace en cuir tanné, les clarines tintinnabulantes, les fermes bardées de  tavaillons, les cascades du hérisson.
Dans son sac effiloché, une robe rouge à pois blancs, des cheveux tout bouclés, une maison à trois toits.
Dans sa gibecière en toile de jute, le redon du grand-père, les ciseaux de la tonte, la marque de ses moutons.
Dans son cœur de gamine, les tartes aux myrtilles, l’odeur du serpolet, la tornade des torrent glacés. 
Dans son antique paletot troué, les sous-bois enchevêtrés, les clairières illuminées, les champignons poêlés.
Secondes suspendues, elle gravissait ainsi les raidillons du temps, escaliers escarpés où elle avait usé ses souliers. 

Et, coincé entre deux éternités, le souvenir se magnifiait.

«  J’aime l’âne si doux, marchant le long des houx. 
    Il a peur des abeilles, il plisse ses oreilles. 
    Il réfléchit toujours. Ses yeux sont de velours » Francis Jammes.



mardi 5 mai 2020

Chroniques de confinée


Les journées défilaient.
Cerises à l’eau de vie, poires suaves au sirop, pissenlits dans les prés, ou radis fermentés.
Elle réfléchissait. S’asseyait. Répertoriait.
Elle se sentait dans un drôle d’état.
Un nuage de plomb sur la tête. Une averse de grêle. Un lendemain d’ébriété. Une nausée aux bord des lèvres. Une bile à dégobiller. Un coup de poing bien placé sur l’arrête du nez. Une migraine diffuse. Un chagrin mal consolé.

Elle s’en allait où la liberté ?  

Le merle moqueur, qui l’écouterait babiller ? 
La pie gentiment chamailleuse, qui la protègerait  ?
Elle se sentait dans un drôle d’été mais on était en mai.
La confinée déconfite cogitait ergo sum, hit et nunc et parfois in vino veritas. 
Elle consignait donc le fil de ses pensées.
Le renard tapi dans le poulailler,
Qui le dénoncerait ?
Le chat noir maraudeur, qui le brûlerait ? 
Et le poète frondeur... 
Qui l’excommunierait ? 
Ça sentait le moisi, le pourri, la viande faisandée.
Pourtant le jardin resplendissait. Le potager prospérait. Les semis s’épanouissaient.
Le hululement de la chouette enchantait les débuts de soirée, les oisillons étaient bien au chaud dans les haies, la brise tiède annonçait un bel été.
Et dans le nez, déterminée, persistante, inaltérable, une odeur fétide, malsaine.
Nauséabonde.
Le sururrement des blattes cannibales enflait. Croissait. Gonflait. 
S’intensifiait. 
Repas goulu, vorace, sonore.
Invasion silencieuse, sournoise, feutrée.
Mélopée doucereuse, vibrante vibration hypnotique, boursoufflure infectée, chancre aux couleurs violacées.

Le spectre de la coercition coercitive librement liberticide, pondait. 
Bataillons de larves en gestation, cohortes en embuscade, tapis le long des palissades.

Et nous étions en mai. Joli mois de mai. Fais ce qu’il te plaît.

« Je hais tout ce qui est soumis. Je déteste l’homme assis » Jacques Brel




Merle, gravure sur bois.

lundi 4 mai 2020

Chroniques de confinée


Des images s’imposaient, s’interposaient, gouvernaient.
Ses parents, la maison, les forêts, le giron. Une tape sur l’épaule, une caresse, un bouquet. Un doigt de pied d’abord, une pensée, fugace, et les yeux scrutaient ce petit coin de verdure, ces champs innombrables longtemps laissés en jachère.
 Oubliés ? Non. Au repos. En sommeil.
Elle les avait laissés somnoler.
Somnoler jusqu’au moment où la sève suintait du saule esseulé. 
Elle pouvait presque deviner la plainte des feuilles perlées dans la fraîche brise matinale. 
L’arbre régnait victorieux dans le jardin entre les deux montagnes.
Le bruissement ressemblait à de la crinoline qui froufroutait. Et ça se mettait à tournoyer et ça faisait un vacarme de tous les diables cette étoffe de femme.
Elle se souvenait du craquèlement des branches dans le vent, de la  cacophonie soudaine des feuilles dans un ballet effréné, désordonné, échevelé.
Elle creusait dans la terre fertile du souvenir. Glèbe grasse, terreau odorant, senteur grisante surgie de la nuit des temps.
Le saule s’agitait. Captif. Enraciné.
Plaintes enfouies dans les taupinières, terres grasses, malléables, fécondes. 
Ventres alourdis, épaissis, appesantis.
Semailles ensommeillées. Réminiscences du temps passé.
Elle avait longtemps laissé s’ensevelir, y avait rien à faire, les flots affluaient, indisciplinés, rétifs, frondeurs.
Pour tout dire, impérieux.


 Jour après jour, les images déferlaient.

Asphyxiée par les effluves étouffantes du cataclysme de la mer démontée, la femme, assise face à son clavier, dans la maison au savonnier, aux plantes grasses, aux oliviers, convulsivement, 
Écrivait.


" Ceux qui peuvent agissent et ceux qui ne peuvent pas, et souffrent assez de ne pas pouvoir, écrivent. " William Faulkner



Claude Monet, Saule pleureur 

dimanche 3 mai 2020

Chronique de confinée

Se parler. Dialoguer entre soi et soi. Se consulter. Les yeux dans le miroir, interroger son regard. Y trouver quoi ?
De la perplexité, de l’inquiétude à foison, de l’incompréhension . Elle se sentait comme une petite boussole désorientée, l’aimant démagnétisé.
Mélasse sucrée, purée de pois, gomme caoutchoutée.
Tout titubait, un monde funambule naissait, croissait, se désenchantait.
Cri d’alarme. 
Alerte ! 
Iceberg en vue ! Parez à virer ! 
Les capitaines s’ensourdissaient, les navires chaviraient, le bon sens disparaissait.

Le monde capotait. Ça tournait plus bien rond. C’était un losange carré, triangle rectangle isocèle mal calibré.
Bref. Ça clochait. 
Elle chantait des paillardises, claironnait, tempêtait, tonitruait.
Elle s’agrippait à la truculence polissonne de la subversion, menacée par l’arrivée inopinée du mortellement néfaste virus, braconnier embusqué, giboyeur dissimulé, traqueur sournois des libertés.
Et ça touillait ! Et ça remuait ! Faute de ciboulette, ça carburait dru du ciboulot.
Et les questions s’entrecroisaient, s’entrechoquaient, se percutaient.
Dans une fébrile bousculade, la bileuse de la tarabiscote se chamaillait.
Pensées coton, ficelles emberlificotées, bobines de fil enchevêtrées.

Méli-mélo, imbroglio, embrouillamini dans les mailles du tricot.



Nous savons qu'ils mentent, ils savent qu'ils mentent. Ils savent que nous savons qu'ils mentent, nous savons qu'ils savent que nous savons qu'ils mentent. Pourtant, ils continuent de mentir. " Alexandre Soljenitsyne, L'archipel du Goulag.





Chroniques de confinée

Elle écrivait encore. 
Elle rêvait le doux, le tendre, la simplicité d’un antique tableau d’automne, en ce printemps si bouleversant.

Dans la pâleur du jour naissant, l’homme heureux se levait.
Il se rendait dans la grande cuisine de la ferme assoupie. Les bêtes dormaient encore dans l’étable, l’épouse était déjà debout, qui veillait sur la maisonnée. 
Elle faisait couler le noir café, le doux breuvage aux arômes des pays lointains. 
Elle songeait au temps d’avant, à ces matins colorés devant la prairie de bananiers, de gaïacs, de pastèques et d’orangers. 
Et lui revenaient les saveurs de mandarine acidulée, grappes de pluie dans le gosier. 
Pareil à des feuilles argentées, le temps se faufilait  dans les fils de la chevelure brune. 
La femme songeait. Trempait les lèvres dans la tasse porcelaine. 
Un matin à rêver.
Le clair feulement des chattes affamées était un appel impérieux. Les félines attendaient le repas matinal. 
Tyrannie domestique, prière collective. Les reines ordonnaient, la femme se pliait à l’ordre silencieux.
L’homme ramassait le bois. L’automne était là, il fallait chauffer.
Dans les silences apprivoisés, la femme songeait et se taisait.


Et nous étions en mai. Joli mois de mai, fais ce qu’il te plaît.


" C'est l'absence de sens de ce que l'on vit au moment où on le vit qui multiplie les possibilités d'écrire. " Annie Ernaux.


Séraphine Louis ( Séraphine de Senlis)

samedi 2 mai 2020

Chroniques de confinée

La lassitude grandissait, la pantomime épuisait, le burlesque se perfectionnait.
De jour en jour, les gouvernements de tous les pays du globe votaient des décrets. 
La Doctrine pédagogique naissait. Elle n’y pouvait rien.
Théorème de Pythagore, Thalès et Théorie du parallélisme des droites adjacentes du point A vers le point B redevenaient des priorités prioritairement prioritaires.
Les petits humains du monde entier se préparaient à rentrer à l’école, siège du savoir, de la connaissance et de l’absolution.
Les prêtres de l’accord du participe avant et après l’auxiliaire dévoilaient, masqués, la liturgie de la grammaire, du nom ou du pronom, ayant pour fonction l’antécédent précédant la subordonnée.
Vissés sur leurs bureaux toute la journée pour boire, manger, pisser, s’amuser, les petits humains redécouvraient avec ferveur les joies des apprentissages en collectivité.
Calcul, fraction, abstraction.
Lecture, compréhension, dissertation.
Concentration.
Ne pas aller contre les règles de la Doctrine sanitaire. Elle n’y pouvait toujours rien.
Pour se faire, pas de jeux de ballon, de contact, d’émotions. 
Privilégier la distanciation.
Prise de température, savonnage de mains, sens de circulation.
Mouchage, toussage, reniflage, se conjuguaient avec nettoyage, décapage. Abnégation.
La Doctrine sanitaire s’appliquait. Elle n’y pouvait définitivement plus rien.

Les petits humains retrouvaient avec ferveur, délice et dévotion, les joies de la grammaire et de la distanciation.




Pour celui-ci, pas de citation. 


Chroniques de confinée

Se souvenir. Reprendre haleine. S’évader. 
Ne plus penser.
Respirer. En cadence. Inspirer. Une grande bouffée. 
Recommencer.
Se rappeler les instants de quiétude, les promenades à vélo, le long des chemins, des sinueux sentiers.
Quand au détour d’une montagne vallonnée, naissaient collines et champs mêlés. 
Se souvenir des échappées dans les vallées, dans les terres grasses et labourées, peuplées de gui, de châtaigniers.
 L’horizon empruntait le sillon des nuages et emportait loin dans les contrées du ciel. 
Le bon vent frais se posait sur les joues, la sérénade des peupliers vainqueurs tourbillonnait dans la tête.
Et ça grisait, et ça dansait, et ça sentait bon la quiétude. Loin, loin de la bourrasque hallucinée, du fracas des voitures et des hommes enfiévrés.
Juste le bruit des feuilles qui chuchotaient dans les rayons, juste la tendresse du souffle de la brise d’automne, juste le soleil posé sur les paupières.
Loin, loin des vrombissements voraces des carcasses d’acier, de toutes ces poupées, pipelines encrassés. 
Assise dans la maison au cerisier, aux plantes grasses, aux oliviers, elle se laissait bercer par le plus réconfortant des réconforts connus jusqu’alors .

Écrire, écrire et respirer.

 « Le parfum de l'âme, c'est le souvenir. ” George Sand






Chroniques de confinée

Réveil.
Cernes dans le miroir, minois fatigué.
Le rêve enjambait l’aube. Valse hésitante dans les vapeurs de la brume.
Elle ne distinguait qu’un voile vaporeux et ne percevait que les chuchotements indistincts de la nature qui s’éveillait.
Coton secret, ouate ensorcelée. 
Ouvrir les yeux
Se reconnecter
La dormeuse refusait de délaisser le val fleuri du songe. 
Ouvrir les yeux. 
Regarder dans la clarté orangée l’agonie de la brunante et le lever bleuté des matins ensoleillés.
Éloigner le pâle croissant.
Le rêve insistait, résistait, se cabrait.
Indomptable rossinante.
S’extirper du tendre coussin aux plumes enchevêtrées. 
Se lever. 

Funambule éveillée sur une branche aux bourgeons malingres, l’humaine confinée se préparait à affronter une nouvelle journée.
Elle buvait son café, nourrissait la meute des félines affamées, tyranniques reines,  caressantes despotes, enjôleuses compagnes des jours qui défilaient.


« La réalité est comme un visage qui se reflète sur la lame d’un couteau; ses caractéristiques dépendent de l’angle sous lequel nous l’envisageons. » Maître Hsing Yun