dimanche 10 mai 2020

Chroniques de confinée

Elle s’imaginait la vie d’avant, le jadis de ses aïeux, l’autrefois des campagnes, les intérieurs silencieux, les vies rudes des bergers et des épouses attentionnées.
Écrire, écrire, écrire.
Éviter de penser à ce drôle de printemps, coincé entre deux éternités.


Silence ouaté. Nuit qui s’engourdissait. La cacique bergerette filait la laine, ravivait de sa timide présence la bastide assoupie. L’agnelage, soupir brisé, était enseveli dans la moiteur des bêlements courbatus.
Elle tisonnait le feu dans l'âtre, s'emparait de l'instant floconneux, écharpes entremêlées.
Elle filait, rouet des temps anciens.
Elle songeait, petite mère, à ce repos ténu, réconfortée enfin par le chaudron qui rougissait dans la pénombre du petit cabanon, humble « outaou » embaumé du thym touffes rabougries de cette terre rouge myriades de cailloux.
Elle songeait à l’étendue de sa terre. Aux olives, au fenouil, à la roquette, aux poireaux sauvages, à la menthe étoilée, au romarin dans le panier. 
Elle songeait, petite mère au teint tanné, mains rugueuses au labeur journalier.
Elle songeait aux agneaux qui dodelinaient dans la bergerie.  
Laineuse était sa soirée.
Demain elle s’en irait de nouveau sur les sentiers.
Demain elle serait là, et de son œil bienveillant, présence familière, elle glisserait dans la gibecière de son berger,
l’olive et le thym frais. 


Elle souriait au mois de mai pour éviter de se mettre à pleurer.

" J'écris un peu avec une main d'aveugle, j'écris en lançant ma main dans le noir du langage pour trouver les mots qui vont éclairer, me soutenir, me faire continuer et m'aider à vivre. " Christian Bobin. 


2 commentaires:

  1. La Provence et le mouton dans le SANG !

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  2. Alors celui-ci, c’est un ancien texte que j’ai retravaillé... Ah ah ah ! Pure laine de Provence !!!

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